L’État, c’est Dieu

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Intervention au colloque des Associations familiales protestantes
“Famille, Confiance et Transmission”
Fontevraud, 4 octobre 2008

La laïcité positive n’a pas de doctrine. Jules Ferry, dans sa célèbre circulaire, dite “Lettre aux instituteurs“, leur demandait d’enseigner « cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères ». Et il joignait « la liste complète des traités d’instruction morale et civique qui ont été, cette année, adoptés par les instituteurs dans les diverses académies ». Or depuis 1883, nous n’avons pas tenu à jour cette liste de traités.

“Depuis vingt ans, je plaide ici pour qu’on rétablisse dans notre enseignement une présentation de la Bible, disais-je dans ma dernière leçon, il y a deux ans. Non seulement je n’ai aucun succès, mais toutes sortes d’idées fausses sur les religions, sur la laïcité et sur l’Islam, ont conduit à l’inverse, à la montée de l’obscurantisme. Celui-ci submerge les générations de nos enfants, comme il a déjà submergé celle de nos parents, quand ils ont finalement consenti à la Shoah“.

La République doit d’urgence s’attaquer à l’inculture religieuse des Français. Il faut réinventer un enseignement non seulement moral, mais aussi civique et religieux, fondé sur la Bible hébraïque et sur ses prolongements helléniques, évangéliques, coraniques, talmudiques, voltairiens… Les Dix Commandements doivent à nouveau faire partie de la culture générale en France, quitte à savoir que les numérotations juive et catholique sont différentes.

La conservation de l’alphabet

Au Commencement est le Verbe. La Bible hébraïque est une suite de consonnes, scrupuleusement conservée par le peuple juif de génération en génération. « Le salut vient des Juifs », dit l’Évangile de Jean, chapitre 4, verset 22. Dénuée de toute voyelle, privée de toute ponctuation, la Bible hébraïque est une immense phrase dont la plupart des mots peuvent être lus et prononcés de différentes manières.… d’où une multitude de « traditions orales », de traductions et de commentaires de la Bible. Celle des Targoums araméens, celle des Évangiles canoniques, celle du Talmud, … n’en sont que des cas particuliers. Il faut compter aussi avec celles des écrits apocryphes et gnostiques, des textes syriaques, du Coran et des Hadith. La « Tour du Babil », celle des langues et du langage, n’est jamais achevée, elle est indéfiniment remise en chantier.

Le mot “Alpha-bet”, comme on sait, vient des deux premières lettres de l’alphabet grec, Alpha et Bêta. Ces deux premières lettres sont aussi celles de l’alphabet hébreu, Aleph, Beit, qui ensemble forment en hébreu dans un sens le mot AB, qui signifie “Père”, dans l’autre le mot BA, qui se prononce Bo et conjugue le verbe “venir”. Les alphabets hébreu et grec commencent tous deux par la séquence ABGD, devenue ABCD dans notre alphabet. Les alphabets hébreu, grec et latin contiennent tous trois les séquences KLMN et QRST. Cette continuité fabuleuse de l’ordre alphabétique, depuis une trentaine de siècles, autorise un coup de force, celui de lire et d’écrire l’hébreu de la Bible avec notre propre alphabet. Le site Internet “Judéopédia” que mon fils Jean-Claude et moi avons créé
1. compare d’une part verset par verset la version hébraïque de la Bible à diverses versions en français, mais aussi en grec, la Septante, en latin, la Vulgate, et en anglais, la King James
2. propose d’autre part un blog que je tiens, qui contient déjà 200 billets, et qui utilise une translittération lettre à lettre de l’hébreu, dans laquelle Adam s’écrit ADM - Moïse Moché, MSH -David, Daoud, DWD. Et Babel, ou Babil, s’écrit BBL. Le H, huitième lettre de l’alphabet latin, y transcrit le Hé, cinquième lettre de l’alphabet hébreu, et le E, cinquième lettre de l’alphabet latin y transcrit le ‘Het, huitième lettre de l’alphabet hébreu.

La création de la Semaine

L’enfant pratique la Bible et la religion sans le savoir, dès qu’il est mis en présence de la date du jour. La République laïque se doit d’expliquer à ses maîtres, pour qu’ils l’enseignent à leurs élèves de toutes origines, d’où viennent les pratiques du dimanche et de la semaine et de la datation “après Jésus-Christ”. Si je dis “Nous sommes vendredi 13, j’achète un billet de loterie”, c’est de la superstition. Si je dis “nous sommes vendredi 13, mais c’est déjà samedi 14 au Japon”, c’est de la science. Mais si je dis “nous sommes vendredi 13″ tout court, c’est de la religion, puisque cela me met en communion avec tous ceux qui ont le même calendrier.

Le récit de la Création du monde, puis le Quatrième commandement, « Souviens-toi du jour du repos, pour le sanctifier » fondent la pratique juive du Shabbat (SBT en hébreu, manifestement proche de « sept »). Ainsi scandée par un jour de repos ou de réunion, la semaine permet un repérage commode des six autres jours, numérotés de 1 à 6 en hébreu, et par exemple en portugais. Répandu par la chrétienté, ce système est aujourd’hui devenu universel.

Une question se pose cependant : si Moïse a institué la semaine de sept jours, qui donc a donné le « top départ », en décidant du premier Shabbat ? Je crois que c’est Josué, le jour où il a arrêté le Soleil et la Lune, pour obliger deux peuples, qui respectaient un Shabbat décalé d’un jour, à repartir du même pied. Et Josué, c’est «Jésus», en grec.

Si le Septième Jour de la Création est un Shabbat, le Sixième Jour, jour de la Création de l’Homme, est un Vendredi (au passage, remarquons que si le mois de la Création a eu un Vendredi 6, il a eu aussi un Vendredi 13). Le Premier Jour de la Création, celui du Que la Lumière Soit !, fut un Dimanche. Quant au Huitième jour, jour de la Circoncision, la tradition juive l’a toujours attribué à la venue du Messie, un Dimanche. Le « lendemain du Shabbat » est explicitement cité en Lévitique 23, 15 : il s’agit de faire démarrer les “sept semaines” qui vont de Pessah’ à Shavouot, de Pâques à la Pentecôte.

Il est temps de s’inquiéter de l’atonie des réflexions et controverses religieuses en France. Où est l’Ernest Renan du 21ème siècle ? Quel auteur synthétise, à l’intention du public éclairé, les thèses de Pierre Teilhard de Chardin (Le phénomène humain, Seuil, 1955), de Marie Balmary (Le sacrifice interdit, Grasset 1986), de Bernard Dubourg (L’Invention de Jésus, Gallimard, 1987), de Paul Beauchamp (L’un et l’autre Testament, Seuil, 1990), de Claude Tresmontant (Le Christ hébreu, O.E.I.L. 1994), de Marie Vidal (Un Juif nommé Jésus, Albin Michel, 1999), d’Armand Abécassis (En vérité, je vous le dis, Éditions n° 1, 1999), de Joseph Ratzinger – Benoït XVI ( Jésus de Nazareth, Flammarion, 2007) ? La Pléiade de Gallimard, de façon méritoire, accumule certes les volumes sur les Écrits intertestamentaires, apocryphes, gnostiques, sur le Livre du Graal et sur la Légende Dorée, mais quels bénéfices en tirent jusqu’à présent les élèves qui surfent sur Internet, papillonnent sur Wikipedia et qui pourraient accéder aisément à Flavius Josèphe et à Voltaire, si leurs maîtres les y intéressaient ?

« Ils » et « Je » sont Un

La transcendance peut s’approcher par la notion de « nom collectif », qui désigne par un seul mot la réunion de plusieurs personnes – comme « couple », « famille » ou « peuple » - puis de « pronom personnel pluriel » – comme « nous », vous », « ils » ou « elles » - puis par les noms de famille, de villes et de pays. Si je dis « les Kaltenbach », c’est un nom transcendant. On passe ensuite à la notion de “personne morale”, association ou entreprise, qui peuvent « ester en justice », enfin à celle de « personne morale souveraine », en l’espèce l’État. Dieu est, dans cette présentation, assimilé à une collectivité, qui enregistre notre naissance et notre mort, et dont est membre la totalité du genre humain, passé, présent et à venir.

Dans la Bible hébraïque “Dieu”, nom commun, s’écrit AL, qui se prononce “El“, d’où viennent nos pronoms personnels “Il” (Béni-soit-Il) et “Elle” (par le “Ille” latin), et le Nom de “Allah“, Clément et Miséricordieux. La forme plurielle ‘’Elohim’’, ALHYM, est pourtant un nom singulier, la Totalité des dieux, la totalité des « Ils ».

Mais à côté du nom commun AL, dieu, et de son pluriel Elohim ALHYM, le Dieu Unique a un nom propre de quatre lettres, le “Tétragramme”, YHWH. ALHYM se prononce tout naturellement Elohim, sans problème. Mais YHWH est prononcé le plus souvent Adonaï, Mon Seigneur. ALHYM, ”Elohim”, est associé à “Ils”, tous les autres, tandis que YHWH, ”Adonaï”, est associé à “Nous”, dont “Je” fais partie, et dont tous les « Je » font partie : l’ensemble du genre humain, passé, présent et à venir, y compris soi-même. Comme notre propre avenir, et l’avenir des autres « Je », nous sont inconnus, le nom de YHWH est imprononçable.

Dans le premier verset de la Bible, c’est ”Elohim” « Ils » qui crée le monde. Pour la Création de l’Homme apparaît le Nom double, YHWH-ALHYM. Adonaï-Elohim. Ensuite les deux Noms sont utilisés alternativement, mais non pas indifféremment. Parler d’un “document yahviste”, où Dieu serait désigné par le Tétragramme, et d’un “document élohiste”, où Il serait désigné par Elohim, c’est faire comme si Edmond Dantès et le Comte de Monte-Cristo avaient été imaginés par deux auteurs différents. De même, s’il y a deux récits de la Création, c’est que la conception d’un enfant peut être décrite du point de vue des parents ou du point de vue de l’enfant conçu, bien que ce soit la même conception.

Qui est le Père ?

C’est qu’il n’y a qu’un seul miracle, la procréation d’un enfant, survenue des milliards de fois depuis que le monde est monde. La métaphore assimilant la procréation d’un enfant à la construction d’une maison ou d’un bâtiment est consubstantielle à l’hébreu biblique. En hébreu BN, ben, c’est “fils” et BNH, boneh, c’est construire. ABN, Even, veut dire “pierre” et peut se décomposer en AB-BN, “père-fils” ; BT, bat, “fille”, est proche de BYT, bayt, “maison” (et de “bâtir” en français). Il y a dans la Bible hébraïque d’innombrables assonances et allitérations qui jouent sur ces proximités mais disparaissent à la traduction. Par exemple, celle-ci : Genèse 4, 17 : “Caïn connut sa femme. Elle conçut et enfanta Hénoch. Il bâtit (BNH, boneh) une ville et il donna à la ville le nom de son fils (BNW, b’no) Hénoch “. Ou celle-ci : Genèse 11,5 : Et l’Eternel descendit pour voir la ville et la Tour que bâtissaient les fils de l’Homme (ASR BNW BNY HADM, “acher banou bené haAdame“).

Il se trouve qu’une métaphore comparable est contenue en français dans le double sens du mot « enceinte » et de l’expression « tomber enceinte ». Quand Josué, ayant succédé à Moïse, envoie deux explorateurs reconnaître Jéricho, je dis bien deux explorateurs, ceux-ci sont cachés par Rahab (REB, « large», comme on dit qu’une femme est « grosse »), la prostituée qui était « montée vers eux »… sur le toit. On imagine cette femme comptant avec angoisse les jours de retard de ses règles et les sonneries de trompette des Hébreux. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept. Le septième jour, plus de doute : elle « tombe enceinte ». Qui est le père ? ils étaient deux…

La grâce de Noé

Hénoch, c’est l’Initié et l’Initiateur. Hénoch, fils de Caïn, “initie” la nomination des lieux, Hénoch, fils de Yared et père de Mathusalem, “initie” le décompte des temps. Il vit 365 ans, est le premier des personnages “enlevés au ciel”, comme le sera le Prophète Élie, et est ainsi la première personne “disparue”, dont nul ne peut certifier la mort. Voltaire, dans le « Dictionnaire Philosophique », qu’on peut lire sur Internet, écrit « Qu’Énoch, Anach, Annoch, signifiait l’année; Que le Janus connu ensuite en Italie était l’ancien Anach, ou Annoch, de l’Asie; Que les noms d’Anne, de Jean, de Januarius, Janvier, ne sont venus que de cette source. »

L’association de l’année à Hénoch est sans doute suggérée à Voltaire par les 365 ans de la vie de Hénoch. Pour le reste, il s’agit de proximités de prononciation que Voltaire constate, mais qu’il ne peut expliquer, ne sachant pas l’hébreu. S’il savait l’hébreu, il saurait que EN, ‘Hen, c’est la grâce. En Genèse 6,8 figurent les deux mots EN, ‘Hen, Grâce, et son inverse NE, Noah’ « Mais Noé, NE, avait trouvé grâce, EN, aux yeux de YHWH. » Dans les yeux on se voit en effet inversé…. il s’agit là du “palindrome originel”.
La racine ENK est celle du mot Hanoukat, ENKT, qui désigne l’Inauguration (la “Dédicace”) de l’Autel du Tabernacle dans le Désert. Le nom de Hanouka, ENKH, fête de l’”inauguration” du Temple, a la même racine. ENH, c’est ‘Hannah, mère longtemps stérile du futur prophète Samuel, d’où le masculin ENN, ‘Hanan, traduit par Anne masculin, il y a un Anne grand-prêtre dans l’Évangile de Jean, il y eut des Anne masculins, comme Anne de Montmorency, jusqu’au XVIème siècle. Mais Sainte-Anne, c’est la mère de Marie selon la tradition apocryphe, et surtout YWENN, Yohanan, c’est Jean « Dieu fait grâce ». D’où le nom de Jean-Baptiste, de Jean l’Évangéliste. Quant à Marie, pleine de “grâce”, Sandrick Le Maguer vient de lui consacrer chez Gallimard, dans la collection “L’Infini” de la nrf, dirigée par Philippe Sollers, un charmant petit volume intitulé “Portrait d’Israël en jeune fille - Genèse de Marie“. Il y explique que les caractéristiques de Marie, y compris la virginité, ainsi que celles des autres Marie des Évangiles, dérivent de celles de Myriam, sœur de Moïse, d’abord témoin du sauvetage de son petit frère sur les eaux du Nil, puis interprète au tambourin du cantique d’action de grâces après la traversée de la Mer Rouge, enfin séparée des Hébreux du Désert pendant sept jours, pour avoir médit de sa belle-sœur Tsippora, femme de Moïse (Nombres, 12, 14). Toujours est-il que Jean, Anne et Marie sont des prénoms très courants dès le judaïsme hellénistique.

Les massacres virtuels

L’humour est intrinsèque à la Bible, qui développe inlassablement deux thèmes essentiels de la condition humaine, dont j’ai parlé dans mes précédentes leçons :
1. Le secret de la paternité. Si Isaac s’appelle “On rira”, c’est que chaque naissance est à la fois une source de joie mais aussi une source de perplexité : Qui a couché avec qui ? Mon père est-il mon père ? Mon fils est-il mon fils ?
2. La relativité des noms. Si, à des moments “cruciaux”, Abram devient Abraham et Saül de Tarse devient l’apôtre Paul - c’est que tous les noms sont relatifs et dépendent de qui appelle qui. Chaque Père s’appelle d’abord Fils.

Cette fois-ci, je parlerai d’un troisième thème, récurrent : c’est que chaque décision prise implique l’élimination des décisions non-prises, y compris par le Destin ou la Providence. Ainsi le sexe de l’enfant, découvert naguère par la sage-femme, aujourd’hui par l’échographie, élimine pour les parents l’hypothèse - quelquefois le rêve - d’un enfant de l’autre sexe. C’est de cela, le choix du sexe, dont rend compte, au début de l’Exode, l’épisode où Pharaon ordonne aux sages-femmes la noyade des enfants hébreux mâles, massacre dont Moïse, “sauvé des eaux”, va réchapper, grâce à la fille de Pharaon, observée par Myriam, la grande sœur de l’enfant.

Chaque enfant qui naît élimine de même du réel tous ceux qu’il n’est pas et qu’il aurait pu être. Cela, c’est le « Massacre des Innocents » qui en rend compte. Les Innocents des deux sexes remplacent les petits garçons hébreux. Le pasteur André Gounelle remarque ainsi que « De même que celle de Moïse, la naissance de Jésus s’accompagne d’un massacre d’enfants ».

C’est un pasteur qui parle. Il serait sans doute difficile de reprendre ce parallèle à l’église ou à la synagogue. Mais à l’école ? C’est à l’Université laïque de l’approfondir et à expliquer aux éducateurs que les massacres dont la Bible regorge ne sont que virtuels. C’est « pour rire » ! ils renvoient à toutes les fécondations qui n’ont pas eu lieu, à toutes les gouttes de sperme dispersées, à tous les ovules éliminés dans les règles féminines.

L’Église et les églises ont toujours soigneusement distingué “Histoire sainte” et “Histoire”. Elles n’ont jamais fait de la datation de la Nativité et de la Résurrection des articles de foi. Elles demandent seulement à leurs fidèles, de croire, dur comme Pierre, que « Jésus est né un jour quelque part ».

Vous aussi, vous êtes né un jour quelque part. Ce sont les déclarations de vos parents, dûment enregistrées par l’état civil, qui en « font foi » comme on dit. La laïcité positive, cela consiste à expliciter les détails de cette pratique et à en tirer toutes les conséquences, quant à vos devoirs envers vos parents, envers vos enfants, envers votre pays.

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