Comprendre sa feuille de paye

Démographie et politique Ajouter un commentaire

Les nombreux changements intervenus dans la démographie et l’économie françaises rendent inadaptés les systèmes de protection et de retraite mis en place après la Seconde Guerre mondiale, ainsi que leur modes de financement. Comment les faire évoluer ?

Revue Echanges
Association nationale des Directeurs financiers et de Contrôle de Gestion (DFCG)
n° 218, février 2005, p. 25-26
http://www.dfcg.com/Echanges/Frame.htm

Les mots « travail » et « emploi » ne recouvrent plus du tout, pour les jeunes gens commençant leur carrière professionnelle, la même réalité que pour leurs parents, a fortiori pour leur grands-parents. Mais les institutions fiscales et sociales ont été fondées il y a 60 ans…

De la femme au foyer


En 1945, quand on créait la Sécurité sociale, le nombre de ménages de « travailleurs indépendants », agriculteurs et petits commerçants, était encore très élevé. On assimila le salaire au revenu d’une petite exploitation agricole ou commerciale : le mari est censé gagner seul le revenu du foyer, l’épouse est réputée vaquer aux soins du ménage, des enfants et des proches. La cotisation maladie assise sur le salaire du seul chef de ménage couvre aussi les maladies de l’épouse et des enfants, « ayant-droit » de celui-ci. L’impôt progressif sur le revenu taxe le niveau de vie réputé commun de tous les membres du foyer. Épouse et enfants sont dites « personnes à charge » du chef de ménage. L’époque est une période de plein emploi, d’inflation, et de “tensions sur le marché du travail”. Le “baby-boom” accroît la population mais jusqu’en 1962, la population active reste globalement stable : la diminution des emplois agricoles et ruraux a été plus que compensée par une augmentation des emplois “tertiaires”. Le nombre d’emplois dans l’industrie était de même globalement stable, avec de grandes transformations internes : moins d’emplois dans le charbon, moins dans le textile, plus dans la construction électrique et dans l’automobile… En 1958, le Général de Gaulle et le « plan Rueff » terrassent l’inflation. En 1962, la première génération du baby-boom atteint 16 ans ; l’indépendance de l’Algérie provoque le “rapatriement” de plus d’un million de personnes. La population active de la France se met à augmenter. L’économie est si dynamique qu’on doit faire appel à des travailleurs immigrés. Or erreur fatale, en 1967, le gouvernement Pompidou, gouvernant par ordonnances, disloque la Sécurité sociale en trois grandes caisses nationales gérant la maladie, la famille, la vieillesse auxquelles il ajoute l’UNEDIC, pour l’assurance chômage. Les quatre caisses ont la même source de financement, des prélèvements sur salaires dits cotisations salariales, complètement disjoints des dépenses : on encaisse d’autant plus de cotisations que les assurés sont actifs, sans enfants et bien portants. Et on paye d’autant plus de prestations qu’ils sont âgés, chargés de famille, malades, chômeurs. L’euphorie règne pendant la montée en charge du système, suivie d’un déficit permanent quand il faut tenir les promesses faites. Pour corriger ce déficit, on augmente indéfiniment les cotisations, qui perçues dès le premier franc, pèsent sur le coût de l’embauche et contribuent à accroître le chômage.

… à la copine au bureau

Dans le même temps, la population active se transforme. L’allongement de la scolarité diminue l’activité professionnelle des jeunes. La montée du salariat abaisse de fait l’âge de la retraite. A l’inverse, l’activité professionnelle des femmes augmente. Les ménages à double salaire deviennent majoritaires en 1976. Les proportions de femmes salariées, puis de femmes mariées salariées, puis de mères de famille salariées augmentent. Une taxation progressive, et non proportionnelle, aurait permis de ralentir ce mouvement. En 1972, au lieu de refondre l’ensemble impôt sur le revenu - cotisations et allocations familiales, on invente les prestations sociales attribuées sous conditions de ressources. Deux célibataires à bas revenus y ont droit séparément : pour continuer à en bénéficier, mieux vaut ne pas mettre les revenus en commun et ne pas se marier. La « cohabitation » sans mariage est ainsi encouragée. La baisse du nombre de mariages qui s’amorce sera si profonde que, dix ans plus tard, la croissance des divorces aidant, ce sera l’effectif même des couples mariés qui se mettra à diminuer. Simultanément le nombre des logements achevés, et celui des mises en chantier, s’abaissent aussi. La stabilisation des prix va accroître les difficultés des jeunes générations. La dépréciation de la monnaie favorisait le financement des logements, les niveaux des taux d’intérêt réels incite les jeunes d’aujourd’hui à rester longtemps chez leurs parents. Les enfants de 0 à 16 ans “dont la mère travaille” sont devenus majoritaires en 1982. La réprobation sociale, qui s’attachait naguère à la femme “abandonnant” ses enfants pour aller travailler, s’est reportée sur la femme au foyer, devenue minoritaire et vaguement suspecte d’être “entretenue” aux frais de la société. Le niveau et l’évolution projetée de chacune des deux carrières deviennent essentiels pour le revenu et la stratégie du ménage et leur concurrence éventuelle accroît les risques de rupture des couples. Cette autonomie professionnelle des femmes, jointe aux progrès de la contraception et la maîtrise de la fécondité, a rejailli sur le sens du mariage. Au modèle de la femme au foyer a succédé celui de la copine au bureau.


Intensifier la redistribution

Tout ceci se passait, rappelons-le, avant la guerre de Kippour et la hausse des prix du pétrole. Celle-ci promettait certes un nouveau redéploiement des emplois, mais ni plus ni moins impressionnant que les précédents. En 1982, nouvelle erreur politique : l’âge de la retraite est abaissé à 60 ans. L’arrivée des “classes creuses” de 1914-18 à 60-65 ans créait une période d’accalmie propice au réaménagement des règles de la retraite. Faire dépendre la date du départ à la retraite de la durée d’activité aurait permis de satisfaire à la fois les salariés aux tâches ingrates qui aspirent à partir tôt à la retraite et les cadres aux longues études qui ont l’ambition inverse. En multipliant au contraire les « préretraites », l’économie française s’est privée de la mémoire et de la compétence de nombreuses personnes qui ne demandaient qu’à travailler. Et, vu l’allongement de la durée de vie, on a de plus augmenté la probabilité que la charge des personnes les plus âgées incombent à des retraités. Il est urgent d’intensifier la redistribution des revenus entre personnes âgées, dont les inégalités sont plus grandes qu’entre revenus d’activité. Il serait judicieux simultanément d’atténuer la frontière entre activité et retraite, de permettre le cumul de revenus d’activité et de retraite et d’instituer des compensations entre systèmes d’assurance sur la vie et systèmes de retraite, de manière que les économies liées au recul des âges au décès bénéficient aux revenus des personnes âgées. Plus généralement, les revenus des emplois précaires, intermédiaires entre activité et non-activité (CDD, interim, stages…), ne devraient plus être traités, à montant égal, comme ceux des emplois stables et assurés. Les activités domestiques font faire des économies considérables à la collectivité : enfants gardés par les mères et grands-mères, et non par des crèches publiques, personnes âgées et très âgées dépendantes, de plus en plus nombreuses avec le vieillissement de la population, à la charge des ménages et non placées dans des institutions. Une majorité de chômeurs appartiennent à un ménage où le père ou la mère ou le conjoint est titulaire d’un emploi, et qui lui offre au moins un toit, forme d’allocation de logement qui n’apparaît dans aucun compte. La dispersion excessive des aides publiques prive les victimes les plus touchées (en particulier les ménages à double chômage) de l’efficacité de la solidarité nationale.

Faire de la feuille de paye un instrument pédagogique

Nos institutions datent d’un temps où régnaient l’inflation et le plein emploi, une mortalité infantile élevée, où la société était encore largement rurale et où, dans les villes, le modèle dominant est celui du salaire unique du ménage. Aujourd’hui, la société est urbaine, les prix stables, la durée de vie longue, les ménages à double salaire majoritaires. Et nous nous sommes résignés à un taux de chômage de 10%, qui devrait nous indigner.
Or les gestionnaires d’entreprises disposent d’un outil essentiel pour faire évoluer le système : la feuille de paye. Elle est obscure pour la plupart d’entre nous. Si, avec l’aide des organisations syndicales, on en faisait un instrument pédagogique qui permette à chaque salarié de comprendre les « prélèvements obligatoires » qu’il paye, de comparer sa situation à celle des autres catégories d’âge et configurations familiales, alors on pourrait espérer que la pression populaire corrige au plus vite les absurdités majeures.
Donner plus d’importance à des barèmes progressifs et familiaux, supprimer les conditions de ressources, annuler la taxation des revenus les plus bas, unifier les allocations familiales et la prime pour l’emploi… En un mot, il faudrait augmenter les impôts directs, y compris locaux, sur le revenu et le capital, fondés sur le niveau de vie des familles, et diminuer tous ceux, indirects, comme la TVA et la CSG, qui taxent proportionnellement et aveuglément les ressources et dépenses individuelles.


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