Tête d’affiche, par Robert Solé

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Appréciez la chute de la chronique du Médiateur du Monde

Un humoriste a rarement droit à la “une” du Monde. Jamais, en tout cas, à la manchette. Autant dire que le titre du 22 février (”Le scandale Dieudonné et le nouvel antisémitisme’”) n’est pas passé inaperçu. Des lecteurs s’en félicitent, comme Catherine Reynier, de Château-Thébaud (Loire-Atlantique), qui nous adresse une lettre de remerciement. D’autres, furieux, reprochent au journal de faire un mauvais procès au comédien. Mais j’ai surtout noté les remarques de ceux qui jugent la “couverture” du Monde démesurée ou contre-productive.

Dieudonné n’en est pas à sa première sortie sur les juifs. Cette fois, il accuse le sionisme - ce “sida du judaïsme” - de confisquer le statut de victime et de cultiver “l’unicité de la souffrance“. Cela devient “insupportable“, dit-il, alors que l’histoire de l’esclavage des Noirs est occultée : la Shoah donne lieu à “une pornographie mémorielle“.

L’expression n’est pas de lui. Se défendant d’être antisémite, il l’attribue à une historienne israélienne, Idith Zertal. Laquelle dément formellement (Le Monde du 26 février). “Pornographie mémorielle” figure en réalité dans un texte de son traducteur français, Marc de Saint-Upéry, qui s’en veut de l’avoir utilisée et regrette qu’elle ait été récupérée par un humoriste “inculte“.

Dans son éditorial du 22 février, intitulé “Dieudonné, assez !”, Le Monde dénonçait “un comique à la dérive saisi par un militantisme communautariste indigne“. Et le journal ajoutait : “En semant la confusion, il dessert la cause qu’il prétend défendre. Puisque ses déclarations n’ont jamais été condamnées par un tribunal - 17 fois visé, 17 fois relaxé, précise son avocat -, il reste simplement à se détourner de ce clown en colère dont les propos exhalent un parfum de haine.

Antisémite, Dieudonné ? Ce n’est nullement l’avis de Gaël Jacquot (courriel). Maladroit, peut-être, mais pas antisémite : Il n’a pas le moins du monde nié ou diminué l’importance de la Shoah, et pourtant on lui en fait le procès. Son propos était de dénoncer l’interdiction d’un autre discours sur la mémoire des génocides.

Réaction voisine d’un lecteur du Vésinet (Yvelines), Etienne Béatrix : Ce que vous appelez le scandale Dieudonné pourrait être une bonne occasion pour Le Monde de s’interroger sur la place qu’occupe la Shoah dans la vie publique française. Elle n’est sûrement pas un point de détail, non plus que le centre autour duquel s’ordonnerait l’histoire de l’Europe du XXe siècle. Aucune perspective historique ne justifie un tel déséquilibre, fondamentalement malsain. (…) Un vrai ras-le-bol existe, qui n’est ni antisémite ni négationniste, mais souhaite simplement que les références historiques de notre vie publique soient plus riches, plus diverses, plus équilibrées.

Restons-en ici au traitement médiatique de cette affaire, que commente un lecteur parisien, Thomas Hochmann. Certes, écrit-il, les élucubrations antisémites de Dieudonné ôtent toute crédibilité à son discours. Pourtant, il est vrai que l’esclavage occupe une place insuffisante dans la mémoire collective. Doit-on traiter du problème soulevé par un raciste, ou se contenter de dénoncer ses délires ?

M. Hochmann reproche au Monde d’avoir choisi la seconde solution. Pour les Noirs, remarque-t-il, l’esclavage joue un rôle important. Et hors de toute hiérarchisation des souffrances, hors de toute animosité à l’égard d’autres victimes, sans remettre en cause la place à part tenue par la Shoah, il est normal qu’après l’importance de la commémoration du génocide nazi, certains se disent : “Et nous ?” Bien sûr, il est juste de condamner Dieudonné. Mais, de grâce, ne vous limitez pas à cela.

Le journal a-t-il donné trop d’importance à Dieudonné ? En tout cas, il n’a pas fait assez de place au grand colloque sur Les Noirs en France, qui a réuni quelque deux cents chercheurs à Paris le 19 février : une quinzaine de lignes à peine, dans le même numéro. Coïncidant avec les déclarations de l’humoriste, ce débat a semblé en être une illustration, alors que, pour beaucoup, c’était l’inverse.

Un lecteur de Créteil (Val-de-Marne), Gaston Kongbre, revient ainsi avec amertume sur le soixantième anniversaire de la libération des camps nazis : Il a fallu attendre les déclarations provocatrices de l’humoriste Dieudonné pour que Le Monde fasse enfin allusion, dans “Le Monde des livres” du 18 février, aux victimes noires. (…) Faudrait-il rappeler que 20 000 à 30 000 Noirs ont été tués par les nazis ? Que les premiers camps de concentration ont vu le jour en Afrique ? Que les Africains ont été les premiers à servir de cobayes pour les expérimentations scientifiques du IIIe Reich ?

N’oublier aucune persécution, aucune oppression, aucune injustice ne signifie pas mettre en concurrence les victimes, à la manière d’un humoriste qui ne fait plus rire. Pour Catherine Desbuquois (Paris), la réponse est claire : Il faut passer Dieudonné sous silence, ne plus l’écouter, ne plus lui passer le micro, ne plus écrire sur lui, ne plus rapporter ses propos. Coupez le son, tournez le bouton, c’est fini. Parlez-nous d’autre chose, s’il vous plaît !

Le Monde cultiverait-il une forme de schizophrénie ? demande à ce propos Gérard Chevalier (courriel) : Je lis en première page “Le scandale Dieudonné” et, dans le même numéro, un éditorial qui, sous le titre “Dieudonné, assez !”, préconise de “simplement se détourner de ce clown en colère”. (…) Pourquoi diable adopter l’attitude du pompier pyromane ?

Patrick Jarreau, directeur adjoint de la rédaction, qui pilotait l’édition du 22 février, explique : Dieudonné est un personnage public, jouissant d’une certaine notoriété, qui utilise ses spectacles pour promouvoir un nouvel antisémitisme. Celui-ci n’est pas le fait de l’extrême droite, mais de personnes qui se considèrent comme des victimes de la discrimination, de l’oubli, mais aussi de la mémoire juive. Sous couvert de son statut de comique, Dieudonné a bénéficié jusqu’ici d’une sorte d’indulgence. En quoi ses propos seraient-ils moins importants que ceux d’un homme politique ? “Dieudonné, assez !” ne signifiait pas cessons d’en parler, mais arrêtons cette supercherie.

Plusieurs lecteurs sont persuadés que le sujet ne méritait pas une manchette. Un gros titre en première page pour nous parler de quelques formules à l’emporte-pièce d’un comique local ! Avez-vous fait une “une” sur le Darfour ?, demande Georges Peyrard, de Bourg-en-Bresse (Ain), qui m’a conduit à interroger notre service de documentation. Réponse : non, en effet, aucune manchette, ni sur le Darfour ni sur le Soudan en général, mais plusieurs reportages, analyses ou points de vue commençant en première page, le dernier en date du 16 octobre 2004.

Quelle publicité ! s’exclame pour sa part le docteur Samuel Ettedgui (Paris). Vous êtes tombés dans le piège ; bien sûr, il faut condamner Dieudonné, bien sûr, il faut encore le poursuivre en justice ; bravo pour les articles en pages intérieures et pour l’éditorial, mais c’était suffisant !

Michel-Louis Lévy, de Courbevoie (Hauts-de-Seine), n’en revient pas d’avoir trouvé les vomissures de Dieudonné en haut de la vitrine. Son indignation ne l’incite pas à la mesure : Après la mort du général de Gaulle, Hara Kiri fut tué par le “Bal tragique à Colombey”. Le Monde du 22 février mériterait d’être brûlé en place de Grève pour pornographie médiatique.

• ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 06.03.05

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