Islam et démocratie

Démographie et politique Ajouter un commentaire

Au moment où le “printemps arabe”, qu’il ait été ou non provoqué par la politique de George W. Bush, suscite un nouvel espoir d’implantation de la démocratie en terre d’Islam, voici un article sceptique que j’avais publié en 1994 dans Passages

Le Monde daté du 19 août 1994 publiait p. 7 un “point de vue” intitulé “Pour une compréhension réciproque entre l’islam et l’Occident ”. L’auteur, Yousif Al Khoï, était présenté comme héritier d’un ayatollah chiite “ayant toujours refusé une immixion du pouvoir politique dans les affaires religieuses ”, tant en Irak qu’en Iran. Son appel rendait un son fort sympathique : “Aujourd’hui le défi lancé au monde musulman est s’adapter à la modernité (…) sans recourir à la violence (…) Ceux qui revendiquent le droit de gouverner au nom de Dieu ne peuvent justifier des moyens honteux pour arriver à leur fin (…) Les valeurs dont l’Occident est fier, la liberté de pensée et d’expression, la tolérance, les droits de l’homme et de la femme, ont tous leur équivalent et leur écho dans les valeurs et la morale islamique ”.

On ne peut évidemment qu’approuver un intellectuel chiite qui condamne la violence et appelle au dialogue. Mais il ne faudrait pas se faire trop d’illusions. “Il n’existe pas un «bon» et un «mauvais» islam, écrit-il, un islam modéré et tolérant et un autre sectaire et nuisible. Il y a seulement des gens bons et d’autres mauvais, des gens honnêtes ou ignorants ”. Ce n’est pas avec cette courte philosophie qu’un vrai dialogue peut s’engager. Un problème que notre petit-fils d’ayatollah n’aborde pas est, par exemple, celui de la démocratie.


Peut-on organiser une société démocratique musulmane ? L’expérience historique rend sceptique. Les avancées les plus significatives sont celles de la Turquie, peut-être du Pakistan, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles ne sont pas définitivement convaincantes. Il semble bien que pour longtemps encore, il faille se contenter de despotes éclairés, comme le furent Kemal Ataturk ou Habib Bourguiba, comme aujourd’hui (1994) Moubarak en Egypte ou Hassan II au Maroc, réprimant de façon musclée les mouvements islamistes mais se rendant régulièrement à la prière et laissant une certaine liberté d’expression canaliser l’opposition modérée. On ne sache pas qu’aucun d’entre eux fut désigné par un vote démocratique, dans laquelle le perdant envoie ses félicitations à l’élu du peuple et se met à sa disposition.


A tout moment il y a un pays musulman qui semble proche de la démocratie. L’avant-dernier fut l’Algérie, nous en sommes au chaos. Le dernier est la Palestine. Quand il fait arrêter des militants du Hamas suspects d’attentats, Arafat agit-il en futur démocrate, soucieux d’établir le régne de la loi et des tribunaux, ou en simple despote arabe, réprimant, comme les responsables égyptien et marocain, les menaces des mouvements islamiques armés ? Accordons-lui encore le bénéfice du doute. Ce n’est pas parce que le modèle français a échoué en Algérie que le modèle israélien va forcément échouer en Palestine.

Y a-t-il une incompatibilité de nature, d’essence, entre islam et démocratie ? “L’islam insiste sur la tolérance de la diversité et le respect total de la loi . Mais - et c’est un «mais» crucial - l’islam demande que les actions de l’homme, à la fois personnelles et en société, soient jugées en fonction des valeurs universelles et intangibles révélées par le Créateur à ses messagers et prophètes ”, nous dit Yousif Al Khoï, dont Le Monde ne précise pas si son grand-père a refusé l’immixion du pouvoir religieux dans les affaires politiques.


Tout est là. Quelle est cette loi ? Quelles sont ces valeurs ? Comment régler les conflits de valeurs ? Quelle importance attacher à la loi de Moïse, en commençant par les Dix Commandements ? Quels enseignements tirer de la conception d’Isaac, qui est celle de Jésus ? Comment désigner les juges ? Comment faire évoluer la loi ? Qu’est-ce que l’islam a à dire sur ces sujets qui agitent les traditions bibliques depuis que les rois d’Israël furent en butte aux remontrances des prophètes ?

Le Coran met l’homme en relation directe avec Dieu, tandis que les religions issues de la Bible, qu’elles parlent de la “Parole de Dieu” ou du “Fils de Dieu”, multiplient les intermédiaires, prêtres, rois, juges. D’innombrables commentateurs et écoles philosophiques se disputent - dialoguent - sur l’articulation de ces pouvoirs, religieux, politique, judiciaire, c’est-à-dire en fin de compte sur l’insertion de l’Etat entre l’homme et sa conscience.

L’Islam a peut-être une ou plusieurs théories de l’Etat, puisque Yousif Al Khoï nous assure qu’il “embrasse un immense éventail d’écoles de pensées, de traditions et de cultures ”. Mais il paraît plutôt avoir rejeté ceux de ses penseurs, comme Averroes, qui ont essayé d’en formuler. Et surtout il n’est pas connu pour en avoir une pratique autre que celle des Commandeurs des Croyants qui réussirent à s’imposer (comment ?) pendant de longs siècles à Bagdad puis à Constantinople. La Sublime Porte, voilà jusqu’à nouvel ordre la forme d’Etat la plus achevée que l’islam a offerte au monde. Celle des pachas contre qui Ataturk a levé l’étendard de la révolte, celle des janissaires dont les malheureux Bosniaques payent aujourd’hui le souvenir.

Pour que l’Occident ait envie de dialoguer avec l’islam, celui-ci doit d’abord pratiquer la controverse en lui-même, étudier ses propres réformateurs, enseigner leurs œuvres et surtout expérimenter leurs principes politiques. Ce serait cela “s’adapter à la modernité sans recourir à la violence “.

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2 ré:ponse à “Islam et démocratie”

  1. effel a écrit :

    Désolé, cet article ne colle pas du tout à la réalité.

    1) L’Islam est plus proche de la Bible que le Catholicisme et ses dérivés ne le seront jamais.

    2) La religion et la démocratie ne font pas bon ménage.

    3) La démocratie n’est pas un gage de paix et prospérité. C’est la légimitimité du gouvernement qui le serait. La démocratie ne représente qu’une forme de légitimité parmi d’autres.

    "On ne peut évidemment qu’approuver un intellectuel chiite qui condamne la violence et appelle au dialogue." Et pourquoi donc? Ce procédé rhétorique est déplorable et peuple trop de sophismes. Sans entrer dans le détail, nulle part il n’y a d’argumentation, c’est une affirmation gratuite. Et le texte complet est sur ce modèle, malheureusement, trop de textes utilisent ce modèle.

  2. Michel Louis Levy a écrit :

    Sur la légitimité des gouvernements, vous pouvez lire cet article que j’avais publié en 1998, au moment de l’affaire Clinton-Lewinsky, également dans “Passages” :

    [http://www.cdweb.com/mll/textes/legitimite.htm]

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