Quand je quittais l’INED

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Mon intervention à mon “pot de départ” de l’Ined, le 30 juin 2000.

Les paroles que je viens d’entendre me vont évidemment droit au cœur et j’en remercie vivement François Héran et tous ceux qui viennent de l’applaudir. Lorsque cette réunion amicale fut décidée le 7 juin dernier, il m’a été demandé de redire devant un plus large public ce que j’avais dit ce jour-là aux chefs de service. Que ceux qui ont déjà entendu ou lu ma première intervention me pardonnent les répétitions.

D’abord, je voudrais préciser ce qui est sur les affiches : l’Insee met fin à mon détachement à l’Ined ce jour, 30 juin, après vingt-cinq ans et six mois de détachement, dont vingt-trois ans de rédaction en chef de Population & sociétés, et me met à la disposition, demain 1er juillet, du Conseil général des Mines, pour exercer les fonctions de rédacteur en chef de la revue Annales des Mines. Le Conseil général des Mines dépend du ministère de l’Industrie, qui est devenu depuis Dominique Strauss-Kahn un Secrétariat d’État rattaché aux Finances, et qui siège désormais au 20 avenue de Ségur, dans l’ancien ministère des PTT, entre l’Unesco et le ministère des Affaires sociales. C’est là que sera mon nouveau bureau, quand sera achevé un aménagement qui a pris quelque retard, après le départ de la commission qui a géré le bogue de l’an 2000. Je remercie Marcel Szwarc de me laisser encore, pendant une ou deux semaines, l’usage de mon bureau du 6ème étage et de mon ordinateur. Ne vous étonnez donc pas si vous me croisez dans ce bâtiment la semaine prochaine et peut-être la suivante. Je ferai connaître mes nouvelles coordonnées à Sigrid François dès que je les aurai.

La revue Annales des Mines a depuis quelques années trois séries trimestrielles, 12 livraisons par an au total : Réalités industrielles, Gérer et Comprendre et Responsabilité et Environnement, dirigée depuis peu par Mme Dominique Dron. Gérer et Comprendre a été créé et est dirigé par Michel Berry, qui n’a malheureusement pas pu venir aujourd’hui. Il vient de compléter ces trois séries par un bulletin de quatre pages intitulé “ La Gazette de la société et des techniques ”, inspiré explicitement de Population & sociétés. C’est lui qui m’a proposé de venir remplacer l’actuel rédacteur en chef des Annales des Mines, François Baratin, qui coiffe les trois séries mais s’occupe surtout de Réalités industrielles, qui publie des numéros à thème, portant en général sur des secteurs industriels particuliers. La rédaction des Annales des Mines publie également “l’Annuaire des DRIRE”, directions régionales de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement, les anciens Services des mines, qui contrôlent les réglementations de sécurité et de protection de l’environnement applicables aux établissements industriels et qui contribuent au développement des petites et moyennes entreprises. Voilà qui va sans doute m’éloigner de la démographie mais aussi me rapprocher des préoccupations qui furent les miennes dans le temps lointain (voici 30 ans) où je fus rédacteur en chef fondateur de la revue de l’Insee, Économie et statistique. D’ailleurs mes collègues statisticiens du SESSI, le Service des Études et des Statistiques industrielles, dirigés longtemps par Michel Quelennec et maintenant par Jean-Marc Béguin, siègent à l’étage même du ministère de l’Industrie où je vais m’installer. Et je vais essayer, autant que faire se peut, de traiter d’économie industrielle sur le mode historique, retrouvant par là les racines communes, chères à Alfred Sauvy, de la démographie et du service des Mines, autour de la philosophie des Lumières et de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

Ceci étant, dire que je suis entièrement satisfait tant des conditions de ce départ que du poste que je vais occuper serait mentir. Je n’épiloguerai pas, laissant chacun juge. Je voudrais cependant préciser trois points, concernant 1. la durée de mes fonctions à l’Ined, 2. mes projets personnels et 3. la direction de la Communication.

1) La durée de mes fonctions à l’Ined. Rester 23 ans rédacteur en chef de Population & Sociétés est sans doute trop long. Mais il n’y a rien d’exceptionnel à passer l’essentiel de sa carrière professionnelle à l’Ined, c’est ce que font la plupart des chercheurs de l’Ined et une bonne partie des personnels non chercheurs : lorsque Gérard Calot, dont je regrette l’absence due à des ennuis de santé et à qui j’adresse un amical salut (1), m’a proposé en 1974 de venir remplacer Alfred Sauvy en tant que rédacteur en chef de Population et Pierre Longone en tant que rédacteur en chef de Population & sociétés, c’est Henri Leridon que je suis venu interroger sur l’intérêt du poste. Sans parler de ceux qui ont pris leur retraite dans les années récentes et dont certains sont ici, Paul Paillat, Roland Pressat, Claude Lévy, Jacqueline Hecht, Jean-Noël Biraben, je peux citer Jean-Claude Chesnais, Daniel Courgeau, Patrick Festy, Thérèse Locoh, Alfred Nizard, France Prioux, Jacques Vallin comme chercheurs m’ayant précédé à l’Ined. De même, à la bibliothèque, que j’ai dirigée quelque temps et où j’ai embauché Marie-Claude Lunazzi, travaillaient déjà Martine Deville et Maïté Ely ; la préparation des publications était assurée, avec Jean-Claude Langlois, par Dominique Paris et Hella Courgeau, le secrétariat et les abonnements par Sylviane Desobeau et Huguette Lecerf. L’Ined est un endroit où on fait carrière.
A l’époque, c’était aussi un endroit où le directeur militait pour le troisième enfant. La première fois que Gérard Calot avait rencontré Andrée, alors enceinte de notre troisième enfant, il lui avait dit : « Je vois, Madame, que vous travaillez pour la France et je vous en remercie » Je ne peux manquer de faire observer que je suis arrivé à l’INED quand ma femme attendait Patrick, notre troisième enfant et que j’en pars alors que ma belle-fille, la dame enceinte qui est ici, attend pour le mois d’août notre troisième petit-enfant, les deux premiers étant les petites filles qui perturbent cette réunion (2).

2) Mes futures occupations personnelles. Mes fonctions et réalisations à l’Insee et à l’Ined m’ont valu une réputation de rédacteur de revues et de vulgarisateur qui m’a d’ailleurs permis de trouver ma nouvelle affectation. Mais l’axe de mes préoccupations est un peu différent : il a toujours été et reste ce que j’appellerai l’animation de la démocratie, c’est-à-dire le caractère réflexif de la relation entre la corporation des statisticiens, démographes, producteurs d’études démographiques et chercheurs en sciences sociales, considérée comme un tout, d’une part, et les citoyens d’autre part : pour que les recensements, enquêtes et travaux des premiers soient bien acceptés et compris, pour que leur utilité et pertinence soient perçues par le plus grand nombre, il est nécessaire de consacrer beaucoup d’efforts, non seulement à la diffusion et à l’explication des résultats, mais aussi à la répétition inlassable et quelquefois ingrate des données de base, de leurs mises à jour, de leur signification, il est nécessaire de passer du temps à corriger les principales incompréhensions et à apaiser les principales inquiétudes. Ma participation prévue au séminaire de valorisation de Jean-Claude Sebag, le 20 septembre prochain, pour parler de la création sous l’Occupation du « numéro de Sécurité sociale » s’inscrit dans cette préoccupation ainsi que mon intention de passer à l’université de Paris 5 le diplôme d’habilitation à la recherche, sur “ le devoir de dénombrement ” (3). Concernant le projet de l’INSEE de rénover le recensement de la population, ma préoccupation principale porte de la même façon sur le caractère technocratique, peu accessible au grand public, des discussions actuelles. Dans un article de la revue Panoramiques qui vient de paraître, je suggère que le Parlement débatte d’une loi d’ensemble sur le recensement de la population, les fichiers de Sécurité sociale et la protection des libertés locales et individuelles. Tout cela manifeste en tout cas que je tiens à suivre cette question de l’assentiment populaire aux recensements, enquêtes et fichiers tant que j’en aurai la possibilité. Et cela manifeste aussi que je compte suivre les activités de l’Ined et venir aussi souvent que possible boulevard Davout participer à des réunions ou séminaires, ainsi que travailler à la bibliothèque (4).

3) La direction de la Communication. Je n’ai évidemment qu’à me féliciter que soient accordés à mes successeurs les moyens qui m’étaient refusés, que soient maintenus, développés et confiés à Sigrid François le bulletin intérieur et la messagerie inedinfo que j’ai créés avec Françoise Moreau ainsi que les réunions d’information initiées pendant la vacance de la direction de 1998-99. Je n’ai qu’à me féliciter d’initiatives récentes, comme les fiches d’actualité scientifique ou la création d’un réseau Intranet. J’ai confiance que Gilles Pison sache conserver à Population & Sociétés les qualités que le public veut bien lui reconnaître tout en renouvelant avec bonheur la palette des sujets abordés, notamment en ce qui concerne la description des mouvements démographiques dans le vaste monde et aussi l’anthropologie de la société française et des autres sociétés développées. Je compte sur lui pour maintenir les liens avec le Population Reference Bureau et Carl Haub, destinés à publier le tableau “ Tous les pays du monde ”, pour maintenir le site du CIPP, Popinfo, développé avec l’aide de mon fils Jean-Claude. Je me réjouis que Maïté Ely fasse partie du nouveau comité de rédaction, parce qu’elle sait d’expérience ce que le public attend de l’Ined.

La démographie est une “ statistique de la vie intime ”, ai-je écrit. La vie intime est non seulement celle des individus mais aussi celle des couples, des familles et des ménages auxquels j’ai consacré le rapport sur la situation démographique de l’an dernier et auxquels a été consacré le séminaire de valorisation d’avant-hier 28 juin. Le public souhaite, plus ou moins confusément, que les démographes lui tendent un miroir. Le point faible qui reste à corriger, me semble-t-il, est de faire en sorte que l’information démographique, au sens que lui donnait Alfred Sauvy, redevienne une orientation centrale de l’Ined ; un sérieux effort collectif de la communauté éparpillée de ses chercheurs serait nécessaire. Dans cette conception, il appartient à la direction de l’Ined d’assurer la cohérence des initiatives de communication et d’animer, je cite en vrac, la rédaction du Rapport sur la situation démographique de la France, celle d’une plaquette de présentation de l’Institut et de son Rapport d’activité, la construction des parties informatives du serveur de l’Ined, la mise en chantier de manuels pédagogiques de tous niveaux et de fascicules de grande diffusion, les sommaires des périodiques et ouvrages, l’alimentation des rubriques bibliographiques de Population, le programme des séminaires dits de valorisation et des réunions scientifiques de toute nature, celui des enseignements assurés à l’Ined ou à l’extérieur par les chercheurs et responsables de l’Ined et d’abord en direction du personnel de l’Ined… A ce propos, j’adresse un coup de chapeau amical à Patrick Festy, qui est le seul des quatre directeurs de l’Ined que j’ai connus à avoir rédigé de sa main un compte-rendu d’activité détaillé. La pente naturelle des chercheurs, et il n’y a pas lieu de leur en faire reproche, est de se concentrer sur leurs propres travaux. Il appartient à la direction de piloter la Communication pour valoriser de façon cohérente, j’insiste, l’ensemble des compétences et le capital de connaissances accumulé à la bibliothèque et dans le fonds éditorial de la maison, afin que l’Ined rende non seulement le service que lui fixe l’article 5 de ses statuts, “ Il assure l’information du public sur les questions démographiques ”, vaste programme, mais surtout justifie son existence et son coût pour le contribuable en répondant au maximum de questions et préoccupations des pouvoirs publics, de la société civile et de l’ensemble des structures éducatives et pédagogiques du pays.

Avant de terminer, permettez que j’évoque sur un plan plus personnel quelques beaux souvenirs que je dois à l’Ined. Les démographes ont la réputation justifiée d’être de grands voyageurs. Moi-même, sans avoir appartenu à l’UIESP, je dois à l’INED, à l’Aidelf et à l’EOPEI (Observatoire européen pour l’éducation et l’information en matière de population), fondé par Léon Gani, que je salue, d’avoir visité plusieurs grandes villes d’Europe et d’Amérique. Par ailleurs j’ai fait partie des deux délégations françaises aux conférences mondiales de population de Mexico en 1984 et du Caire en 1994.
De Mexico, j’ai gardé une photographie où l’on voit Gérard Calot et Jacqueline Hecht danser autour d’un de ces châles mexicains qu’on appelle je crois des sarapés dans l’équilibre précaire des bateaux à fond plat des jardins flottants de Xochimilco. J’ai gardé aussi le souvenir de Jacqueline Hecht rameutant nos deux « énarques de base », de jeunes fonctionnaires frais émoulus de l’École nationale d’administration, dont l’un s’appelait Alain Perritaz, aujourd’hui Directeur adjoint de l’enseignement supérieur au ministère de l’Éducation nationale, et l’autre Jean Gaeremynck, aujourd’hui notre Directeur de la Population et des Migrations.
Dix ans plus tard au Caire se produisit un épisode tenant du prodige. Certains d’entre vous savent qu’Andrée mon épouse faisait partie des premiers « Rapatriés », ces familles françaises expulsées d’Égypte, lors de la malheureuse expédition de Suez de 1956. En 1994, j’eus toutes les peines du monde à la convaincre de profiter de la Conférence du Caire pour retourner pour la première fois, trente-huit ans après, dans sa ville natale. Nous avons décidé de nous offrir la croisière sur le Nil proposée aux congressistes et j’en réglai les détails, grâce au fax de la rue du Commandeur, avec l’agence de tourisme égyptienne officielle qui l’organisait. Mon interlocuteur écrivait un français délicieux et nous invita à venir faire sa connaissance lorsque nous serions au Caire. Je passe sur les péripéties mais quand nous répondîmes à son invitation, ce correspondant francophone se révéla être un jeune homme de l’âge de nos enfants, dont les parents habitaient, tenez vous bien, l’exact appartement de mes beaux-parents, celui où Andrée avait passé sa jeunesse et qu’elle retrouva en invitée avec l’émotion que vous devinez.

Mais finalement, les souvenirs les plus caractéristiques de mes années d’INED resteront les longues années, sous les septennats de Giscard et de Mitterrand, où j’ai déjeuné à la regrettée cantine de la rue du Commandeur, avec de passionnants interlocuteurs venus des quatre coins du monde, en compagnie de ce merveilleux convive qu’était Jean Bourgeois-Pichat, à propos duquel j’utiliserai la belle formule juive : “ que sa mémoire soit bénédiction ”.

Je remercie tous ceux qui ont bien voulu depuis si longtemps m’assister dans ma tâche. Je compte bien garder avec l’Ined et avec chacun de vous des relations confiantes et assidues. Bonne chance à tous. Bonnes vacances


(1) Gérard Calot est malheureusement décédé le 15 mars 2001 (Note de 2005).

(2) Jessica Lévy est née le 25 juillet 2000, sa petite soeur Sarah le 27 juillet 2004. Lisa, née le 10 juillet 1996 et Mélanie Derai, née le 26 décembre 1998, étaient présentes. Leur petite soeur Ornella est née le 3 avril 2004. (Note de 2005). Tess Lévy est née le 26 février 2009, d’une “FIV”, comme ses deux sœurs aînées. (Note de 2009) Kathleen Derai, la septième petite-fille, est née le 20 novembre 2011. (Note de 2013)

(3) J’ai abandonné ce dernier projet (Note de 2005).

(4) Ma reconduction au Haut Conseil de la Population et de la Famille, vice-présidé par Claude Thélot, a été publiée au JO de ce même 30 juin 2000. Ce mandat a pris fin en 2003. (Note de 2005)


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