Indignation

L’attentat de Pessah

(Première édition : mercredi 22 mars)

Je viens de voir, sur Arte, l’épisode de la série britannique Israël et les Arabes. Une paix insaisissable, consacré à l’année 2002. Je suis scandalisé, indigné, outré.


D’abord, qu’on ait pu voir le commanditaire de l’attentat du Seder de Pessah à Netanya raconter froidement comment il a envoyé un jeune homme à la mort.


Ensuite, qu’on le laisse s’enthousiasmer du nombre de victimes, bien supérieur à ses « espérances ».


Enfin que les conséquences catastrophiques de cet attentat pour la cause palestinienne n’aient pas été soulignées. Nous avons eu droit à Yasser Arafat, assiégé dans la Mouqata par l’armée israélienne, poser en défenseur des « Lieux saints » chrétiens et musulmans. Mais le massacre de braves gens célébrant le Seder a été traité sur le seul plan – comment dire ? – technique du terrorisme.


Il y avait eu la guerre de Kippour. Il y avait désormais « l’attentat du Seder ». Je constate, une fois de plus, combien est ignorée de nos médias – français et occidentaux – la sensibilité du peuple juif, d’Israël et de Diaspora, qui réagit à l’unisson, synchronisé par ses célébrations familiales. Voilà ce que j’ai écrit, à l’époque, dans Passages.

Mercredi 27 mars 2002, veille de pleine lune, la première du printemps. Dimanche prochain, ce seront les Pâques chrétiennes. Les juifs se préparent au Seder («ordre» en hébreu) de Pessah. En Israël, les hôtels proposent aux moins fervents des Israéliens et de leurs cousins de l’étranger de les dispenser de la préparation minutieuse du rite pascal. Netanya est une villégiature de bord de mer, où les francophones ont longtemps été majoritaires, mais où ils sont désormais supplantés par les «Russes». Au Park Hotel, nom prestigieux pour un établissement qui mériterait deux étoiles selon les normes françaises, le Seder va commencer. Les clients sont en majorité des retraités et des personnes âgées. Il pleut à torrents. Le vigile laisse passer le kamikaze, Palestinien de la ville voisine de Tulkarem, dont le visage ne lui est pas inconnu, parce qu’il a précédemment fait des extras dans l’hôtel. La charge, dissimulée sous un imperméable, explose et fait 27 morts, dont la Française Marianne Leman, z »l, et beaucoup de blessés, qui gisent au milieu des débris de Haggadot (livrets pour suivre le récit de la Sortie d’Egypte, les prières et chants rituels), de bouteilles de vin kasher, de matsot (pains azymes), de maror (herbes amères) et de l’os grillé rappelant le sacrifice de l’agneau pascal, dont le sang marquait, selon le récit de la Sortie d’Egypte, les portes des Hébreux, pour que l’ange de la mort épargne leurs premiers-nés…


Si vous avez manqué le début…


Avec le décalage horaire, les juifs d’Europe puis d’Amérique apprennent la nouvelle au moment où eux-mêmes se préparent au Seder. Quand leurs enfants leur posent la traditionnelle question «Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ?», peut-être modifient-ils la réponse traditionnelle, faite de commentaires des versets qui prescrivent cette fête identitaire du peuple juif, approfondissant la notion de liberté, expliquée par le père à l’enfant, par le juif savant au juif ignorant, plus généralement par le juif au goy simplement curieux. C’est au cours d’un Seder que, selon les Evangiles, Jésus a partagé le pain azyme et offert la coupe de vin, définissant l’eucharistie, symbole du schisme chrétien. La bombe de Netanya explose dans toutes les églises, au moment de l’élévation.


Toutes choses égales, d’ailleurs, l’attentat du Seder a eu, pour le peuple juif, touché à sa table familiale, le même retentissement que les attentats du 11 septembre pour le peuple américain, touché sur son territoire, dans ses bâtiments les plus symboliques. De même que tous les Américains se sont alors soudés autour du président George W. Bush, pourtant bien mal élu, les juifs du monde entier, au moins ceux qui célèbrent Pessah, se sont retrouvés solidaires, volens nolens, du Premier ministre, Ariel Sharon. Si sensibles qu’ils aient été à la cause palestinienne, force leur était de constater qu’Arafat, qui avait su condamner les attentats antiaméricains et offrir son sang pour les victimes du World Trade Center, n’exprimait, cette fois, aucune horreur de cette atteinte sacrilège à la liberté des pratiques religieuses. Bloqué à Ramallah, il était occupé, ce jour-là, à ce que son discours, répondant aux propositions du prince Abdallah d’Arabie Saoudite, soit entendu au sommet arabe de Beyrouth.


La façon dont les gouvernements occidentaux, les agences de presse et les médias traitèrent l’attentat de Netanya témoigna, une fois de plus, d’une ignorance et d’une incompréhension totales de l’âme juive

(Suite sur le site de la revue Passages n° 118-119).

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