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Débloquer et rebâtir la démocratie en France

Face à ses difficultés sociales actuelles, la France croit pouvoir s’en tirer par quelques rustines alors que le problème est institutionnel.

(Première édition : dimanche 26 février)

La France n’a qu’un seul problème, celui de ses institutions. Non pas de leur lettre, qui peut rester inchangée, mais de leur pratique. La moindre difficulté, au lieu d’être traitée dans le délai et au niveau qu’il convient, est renvoyée au plus haut niveau de l’Etat, et de là à la prochaine élection présidentielle. Et que dire de ses problèmes majeurs que sont le chômage de masse, le déficit de la Sécurité sociale ou l’ampleur de la dette publique ?


La crise des banlieues vient de confirmer que la France souffre aussi d’une grave crise de représentation. Qui parlait au nom de ces jeunes prétendus révoltés, souvent mineurs, souvent chômeurs, souvent étrangers ? les mineurs ne sont évidemment pas électeurs ; les chômeurs ne sont évidemment pas syndiqués. Quant aux immigrés devenus français, ils sont apparemment peu sensibles, sauf exception, à l’intérêt de voter ou d’adhérer à un quelconque syndicat. Les seuls intermédiaires que les pouvoirs publics se sont trouvés furent quelques associations, dont il a fallu rétablir en catastrophe et au jugé les subventions, et quelques « grands frères », à l’inquiétante allure, auxquels fut concédée dans l’urgence une légitimité plus que douteuse.

Comme d’habitude, la France croit s’en tirer par quelques rustines. Nous avons eu droit cette fois-ci à la montée en charge du « service civil volontaire » et à l’activation d’une Haute Autorité de plus, contre les « discriminations ». L’essentiel a surtout consisté à …rappeler la loi, sur l’autorité parentale, sur la proportion de logements sociaux… Il ne s’agit donc pas de changer la loi, il s’agit de l’appliquer, disons de l’adapter, à l’heure de la mondialisation, de l’informatisation et de l’internet.

Les trois piliers du modèle social français

Pourquoi la société reste-t-elle à ce point « bloquée » ? « La société bloquée » est, comme on sait, le titre d’un célèbre livre de Michel Crozier, publié en 1970, sous Georges Pompidou, réédité en 1995, à la fin du règne de François Mitterrand, qui dénonçait le corporatisme et la bureaucratie paralysant de nombreux établissements du secteur public et nationalisé. Au centre de ce blocage : les organisations syndicales.

Cette situation remonte aux circonstances politiques de la Libération. A l’époque, la France bâtit un ambitieux système de redistribution et d’égalité des chances », issu des travaux du Conseil national de la Résistance, sur trois piliers :

- l’impôt progressif sur le revenu, qui taxe avec un barème favorable aux familles le niveau de vie réputé commun de tous les membres du foyer
- la Sécurité sociale, assurance-maladie, assurance-vieillesse, allocations familiales, auxquelles s’adjoignit plus tard l’assurance chômage
- l’enseignement laïque et gratuit, dont l’obligation est progressivement étendue au secondaire

Mais la méfiance que suscitait l’hégémonie du syndicat communiste, la CGT, majoritaire dans la classe ouvrière et soupçonné de visées subversives, empêcha d’associer le monde syndical au pouvoir politique. Tandis que l’impôt direct géré par le ministère des Finances sous le contrôle du Parlement était exposé aux coups de sape des lobbys, on réserva au syndicat démocrate-chrétien, à l’époque la CFTC, la gestion des allocations familiales, à une scission de la CGT, dénommée Force Ouvrière la défense des fonctionnaires, les enseignants étant eux-mêmes organisés séparément. Quant à l’assurance-maladie, elle fut éparpillée entre de multiples caisses, branches, risques, régimes… Le tout théoriquement financé par des prélèvements cumulatifs sur les salaires, était aussi financé par l’inflation. C’était le triomphe d’« Après moi, le Déluge… » On s’habitua à voir chaque crise traitée, non pas au Parlement et dans les assemblées élues, mais sur le perron de Matignon, par un sempiternel défilé de « partenaires sociaux » et autres « forces vives », aussi peu connus de la Constitution de la 4ème République que de celle de la 5ème.

Reconstruire l’ascenseur social

Depuis 1975, les « trente piteuses » ont vu le système fonctionner à l’envers ; le chômage a explosé, le gouffre de la Sécu s’est creusé, les inégalités scolaires se sont aggravées, le système politique par lequel De Gaulle pensait restaurer la grandeur de la France et l’unité nationale, a eu pour résultat désastreux de couper la France en deux. Sombrant dans une schizophrénie dépressive accentuée, celle-ci s’est alors mise à se chercher des boucs émissaires - le principal qu’elle ait trouvée étant l’Amérique et ses présidents successifs - et à s’imaginer devoir expier ses turpitudes passées, le colonialisme et la collaboration avec le fascisme.

La France mérite mieux. Il est temps de trancher enfin le nœud gordien. La guerre froide est terminée depuis quinze ans, le niveau d’information et de compétence de la population s’est considérablement accru. Le modèle social français n’a besoin que d’être adapté aux temps présents, ceux de l’Internet et du téléphone mobile. Réintégrons la Sécurité sociale dans les domaines de compétence du pouvoir politique, sous le contrôle du Parlement et des Assemblées locales et régionales élues. En compensation, augmentons loyalement la représentativité et la capacité de négociation des syndicats, et invitons-les à la défense des intérêts de leurs mandants plutôt qu’à des combinaisons d’appareil. Les subventions publiques et autres aides de fonctionnement ( mise à la disposition de locaux, prise en charge de salaires …) ont évidemment pour contrepartie la publication régulière des comptes et de l’évolution du nombre d’adhérents.

On dispose, avec le Conseil économique et social, d’un organisme constitutionnel, où sont représentées les fédérations syndicales, les associations professionnelles, mutualistes et familiales, et qui a vocation à être la grande enceinte des discussions sur le budget de la Sécurité sociale. De même que le Sénat est l’assemblée où convergent les préoccupations et les arbitrages concernant les collectivités locales, le Conseil économique et social est celle où convergeront les préoccupations et les arbitrages concernant les syndicats et grandes associations. L’analogie avec le Sénat s’étendra au mode d’élection des Conseillers, qui seront élus au suffrage indirect par des collèges de syndicalistes et de responsables d’associations eux-mêmes élus par la « base ». Ainsi le monde syndical et le monde associatif redeviendront des voies privilégiées de « l’ascenseur social » régionalisé, où s’affirmeront et se confronteront les talents, indépendamment des origines sociales et ethniques, et des affiliations philosophiques, politiques ou religieuses.

Dans le système représentatif à rebâtir, l’Assemblée Nationale gardera évidemment le dernier mot et la prééminence. Son mode d’élection, scrutin uninominal à deux tours, entré dans les habitudes, n’a pas à être modifié. Le nombre et le découpage des circonscriptions, cependant, sera régulièrement mis à jour, sur la base du recensement de la population et selon des règles claires et publiques contrôlées par le Conseil constitutionnel. Une autre retouche concernera les élections triangulaires, qui n’ont pas à être proscrites ; les électeurs y classeront les trois candidats, selon leur ordre de préférence.

La nationalité donne le droit de vote national, élire les députés à l’Assemblée nationale. Mais pour les élections municipales, c’est le critère de résidence qui est central ; que le paisible habitant d’une bourgade puisse acquérir le droit de participer à la gestion des affaires locales, indépendamment de sa nationalité, va de soi. Pour les élections professionnelles, le critère est de même le statut professionnel. Les résidents et travailleurs étrangers, réfugiés ou apatrides peuvent donc acquérir, selon des règles simples et publiques, le droit de vote local ou professionnel, qui peut faciliter ensuite, s’ils le désirent, leur accès à la nationalité.

Consolider les budgets de l’Etat et de la Sécu

A ces Assemblées locales, régionales et nationales, il faut soumettre des débats clairs aux enjeux explicites. A cette fin seront consolidés les comptes de l’Etat et de la Sécurité sociale, ce qui aura comme effet de rendre les discussions budgétaires… et les feuilles de paye, enfin compréhensibles. Le coût de la santé publique sera par exemple directement comparé à ceux de la Défense ou de l’Education Nationales. Chaque foyer pourra comparer ce qu’il reçoit - y compris sous forme de soins médicaux et hospitaliers ou d’enseignement public – à ce qu’il paye, y compris sous forme de retenues à la source et d’impôts indirects. Et le Gouvernement sera tenu de faire connaître aux députés la répartition de l’ensemble des « prélèvements obligatoires » selon les revenus et la configuration familiale…

La première réforme d’envergure qui découlera de cette consolidation sera la fusion des allocations familiales et de la fiscalité, nationale et locale. Les allocations familiales sont en effet, avant la lettre, une forme d’« impôt négatif », comme la prime pour l’emploi, dont le montant ne dépend que de la configuration familiale et du revenu du foyer pour l’application de diverses « conditions de ressources » .

Une autre réforme consistera à fusionner l’impôt progressif sur le revenu et la CSG proportionnelle, dont le rendement a désormais dépassé celui du premier. Le barème devenu commun devra être révisé, de façon à annuler l’impôt payé par les revenus les plus bas. Les services des contributions directes partageront la tâche avec les actuelles caisses d’allocations familiales : en gros, comme aujourd’hui, les premières percevront les impôts « positifs », tandis que les secondes verseront les « impôts négatifs » et continueront d’administrer le R.M.I. et autres « minima sociaux ».

Risquons une boutade : la principale « discrimination positive », qui vise à apporter l’aide de la collectivité à ceux qui en ont besoin, c’est l’impôt négatif ! Pour paraphraser la célèbre formule de Lénine, « le communisme, c’est le pouvoir des soviets plus l’électrification du pays tout entier », disons que le modèle social français à rebâtir, c’est l’Etat Providence, plus l’informatisation du pays tout entier. L’avance technologique dont dispose la France en matière de gestion de fichiers de masse, de cartes à puce et de systèmes de sécurité informatiques doit être mise au service de la collectivité. Il faudra veiller évidemment à ne pas réserver les ordinateurs aux foyers qui en ont les moyens mais à en doter les bureaux de poste, les écoles, collèges et lycées, et de multiples agences de proximité, où chacun, « branché » ou non, pourra venir s’informer et consulter ses dossiers personnels, fiscaux et sociaux…

Cette réorganisation décentralisée des grands fichiers de l’assurance-maladie, des caisses de retraite, du chômage, de l’immigration, … sera la grande affaire du ministère des Affaires sociales, redevenu « ministère de la Population », sous le contrôle du Conseil économique et social rénové. Comme celle des listes électorales, elle sera fondée sur des recensements périodiques et aura trois fonctions essentielles :
- personnaliser le mieux possible l’administration générale en adaptant à chaque cas particulier des règles aussi simples et générales que possible ;
- soumettre aux Assemblées locales, régionales et nationales des comptes et des budgets clairs, de façon que la presse et le public puissent en suivre les débats et participer intelligemment aux campagnes électorales ;
- produire une information démographique et statistique élaborée, et mettre à la disposition du corps enseignant et des relais médiatiques la documentation nécessaire à l’instruction civique et morale des futurs citoyens électeurs.


L’essentiel est d’ordre psychologique. Il s’agit de redonner aux Français et futurs Français pleinement confiance en la France et ses institutions, de les rassembler dans une saine émulation avec les autres pays développés autour des grandes causes du 21ème siècle : stabilisation de la population mondiale, intégration de la Chine, de l’Inde, de l’Afrique, de l’Amérique latine… dans le concert des nations, organisation des migrations internationales, gestion des ressources énergétiques et du réchauffement climatique… Quel candidat saura le mieux le faire ?


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Une réponse à “Un programme pour un Président”

  1. Caf Arras a écrit :

    Merci pour ce billet et pour ces idées bien conçues.

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