Populations du monde : de l’’explosion à la gestion

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Mouvement Universel de la Responsabilité Scientifique (MURS)
Science et Devenir de l’Homme
Lettre aux générations 2000
n° 34, décembre 2006
www.murs-france.asso.fr

L’alerte à l’”explosion” de la population mondiale a porté ses fruits : la croissance démographique, désormais concentrée dans les pays les plus pauvres, se ralentit. Aujourd’hui de 6,5 milliards, la population mondiale pourrait se stabiliser en dessous de 10 millierds avant la fin du XXIème siècle. Organiser les recensements, l’état civil et les statistiques de santé dans les pays pauvres, contrôler les migrations internationales, tels sont les principaux défis que les Etats développés et les Nations-Unies ont aujourd’hui à affronter.

Légende de la photographie : Les projections de la population mondiale parlent de 7 milliards vers 2013, 8 milliards vers 2027, 9 milliards vers 2045 alors qu’il y a cinquante ans, les démographes annonçaient 15 milliards d’habitants en 2050… En retenant le chiffre raisonnable de 10 milliards en 2100, il reste qu’en 300 ans, de 1800 à 2100, la planète serait passée de 1 milliard à 10 milliards d’habitants.

6,5 milliards d’êtres humains, mais la croissance ralentit

Le cap des 6 milliards a été dépassé en 1999. Les Nations unies et son Secrétaire général, M. Kofi Annan, avaient célébré l’événement en désignant symboliquement un nouveau-né bosniaque. C’était certes faire croire à une précision illusoire, le nombre d’êtres humains n’étant connu qu’à quelques pour cent près, c’est-à-dire à quelques dizaines de millions près ou, si l’on veut, à une ou deux France près… Mais c’était aussi, pour l’humanité représentée par les Nations Unies, l’occasion d’affirmer que « l’explosion » incontrôlée de la population mondiale était en train de s’assagir et de faire place à sa gestion responsable.

Aujourd’hui (2006), la population mondiale a dépassé 6,5 milliards d’habitants. La croissance relative*, encore un peu ralentie, en est à +1,2 % par an, et la croissance absolue* à 75 millions de personnes de plus chaque année, soit 210 000 par jour.

Cet accroissement annuel de 75 millions de personnes résulte d’environ 135 millions de naissances et 60 millions de décès annuels. Or cela fait une bonne vingtaine d’années – voilà une « bonne nouvelle » méconnue - que le nombre de naissances mondial est stabilisé autour de 140 millions par an. Et comme ce nombre annuel de naissances continue d’augmenter dans de nombreux pays, la stabilisation mondiale implique qu’il baisse dans de nombreux autres, ce qui donne une forme inédite de « trapèze inversé » à la pyramide des âges d’importants pays ou groupes de pays, comme l’Union européenne, mais aussi la Chine ou l’Algérie.

La pyramide des âges

Le mot « pyramide » vient de la forme triangulaire du graphique dans les pays à forte mortalité, infantile et générale. Aujourd’hui, la stabilité approximative du nombre des naissances jointe à une très faible mortalité aux jeunes âges donne à la base du graphique une forme de « tour » (exemple la France) et même, quand le nombre de naissances décroît sensiblement, une forme de « trapèze inversé » (exemple l’Allemagne)

Dans un pays où le nombre de naissances annuel serait constant et où la durée de la vie uniforme pour tous, hommes et femmes, la pyramide des âges deviendrait rectangulaire, avec pour largeur le nombre annuel de naissances et pour hauteur cette espérance de vie. Avec des chiffres proches de ceux de la France métropolitaine, disons 750 000 naissances par an et 80 ans d’espérance de vie, la population totale serait de (80 x 750 000) soit 60 millions d’habitants, un quart (25 %) de moins de 20 ans (15 millions), autant de plus de 60 ans, et la moitié (30 millions) d’adultes de 20-60 ans.

Aussi simpliste que soit ce schéma, c’est vers cette forme rectangulaire que tendent d’ores et déjà les « pyramides » des âges des pays développés, où le nombre de naissances fluctue peu et où la mortalité se concentre aux âges avancés. La popularisation de ce schéma, applicable à tout pays ayant achevé sa transition démographique comme à toute circonscription administrative ou électorale, permettrait de piloter une politique de population comprise du public. Par exemple, le quotient résultant de la division du chiffre de la population par celui de la vie moyenne - qui sont des variables à variation très lente - donne le nombre de naissances annuel de la population stationnaire*, auquel on peut comparer le nombre réel : en France métropolitaine en 2005, une population de 60,6 millions d’habitants divisée par une espérance de vie de 80,2 ans donne un nombre normatif de 755 000 naissances, un peu inférieur au nombre réel (765 000). La natalité actuelle est donc cohérente avec une population stationnaire.

Sans cet effort d’explication, il existe un très fort décalage entre les perspectives démographiques connues des spécialistes et les commentaires médiatiques : la stabilisation de la population mondiale s’est amorcée dès les années 1980, mais la presse continue encore, un quart de siècle plus tard, de faire des titres alarmistes sur sa possible « explosion ». La grande inertie des phénomènes démographiques et de leur perception par le public n’est pas seule en cause, ni même le goût bien connu des médias pour le sensationnel : l’action de groupes de pression intéressés, pour de bonnes ou de moins bonnes raisons, à sonner l’alarme compte aussi dans ce phénomène. Il serait utile pour la paix civile que des agences indépendantes et respectées soient officiellement chargées de corriger les erreurs les plus répandues. Ceci vaut aussi pour les statistiques de migrations.

Légende de la Pyramide des âges de la France. La pyramide des âges est un graphique de la répartition par âge d’une population, l’échelle des âges étant verticale, les effectifs du sexe masculin étant portés sur la gauche, ceux du sexe féminin sur la droite. Dans les pays dotés d’un bon état civil, on distingue les effectifs par année d’âge. Sinon, on se contente de tranches d’âge de cinq ans (quinquennalles).
Source : INED, Population & Sociétés, n° 421, mars 2006

Les migrations dans la mondialisation

Il y a toujours eu de l’immigration, spontanée ou forcée, des pays pauvres vers les pays riches, des campagnes vers les villes, des « pays pleins » vers quelque colonie nouvelle ou Eldorado mythique. Ce qui a changé, c’est le développement des transports et des communications. Ces progrès créent d’un côté les scandales de l’immigration clandestine, mais donnent aussi les moyens de les réduire puis de les supprimer.

Il y a cependant de quoi se désoler du peu de connaissances que nous avons sur les migrations internationales. On dispose des rapports du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) et du Bureau International du Travail. Mais la meilleure information disponible vient du réseau du Système d’Observation Permanent des Migrations Internationales (SOPEMI) mis en place par l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), qui groupe les pays les plus développés.

Le fonctionnement migratoire de la planète est aujourd’hui organisé en vastes systèmes autour des pôles de la mondialisation (Amérique du Nord, Europe occidentale, Japon) et de certains États du Moyen-Orient, détenteurs de la rente pétrolière, avec des sous-systèmes de drainage des flux à l’échelle régionale, autour des nouvelles puissances économiques en Asie du Sud-Est, ou vers la République d’Afrique du sud.


Les flux migratoires se diversifient et se mondialisent au détriment des relations traditionnelles, héritages de la période coloniale: ainsi la relation autrefois exclusive entre le Maroc et la France est-elle en train de s’effacer au profit de relations multiples avec différents pays d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord.

Les migrations sont aujourd’hui majoritairement motivées par la recherche de travail et l’attrait d’activités moins pesantes et plus rémunératrices. Entre régions d’un même pays, on observe les mouvements liés à l’exode rural, aux séjours universitaires, au « retour au pays » des retraités, aux mouvements pendulaires entre le domicile et le lieu de travail, etc. Plus généralement, dans un monde où les disparités de niveaux de vie sont sans doute plus accusées mais surtout plus visibles - y compris entre pays voisins comme l’Allemagne et la Pologne, l’Espagne et le Maroc, les Etats-Unis et le Mexique - l’attrait du travail dans un pays prospère pousse à l’émigration.

Des motivations politiques et culturelles se conjuguent aux motivations économiques. Les pays riches sont aussi les pays démocratiques, disposant de systèmes éducatifs élaborés et d’une protection sociale efficace, alors que les pays pauvres sont souvent sous le joug de la dictature et de l’arbitraire. Diffusée à l’échelle mondiale, l’image du way of life occidental exerce sur l’imaginaire des habitants de ces pays, notamment celui des classes moyennes, un attrait aussi fort que pouvaient exercer jadis l’Eldorado sur les conquistadores ou la statue de la Liberté sur les migrants transatlantiques du XIXe siècle.


Avec la rapidité de la diffusion de l’information et la baisse des prix des transports qui marquent la globalisation, des courants s’établissent de plus en plus en dehors des bassins et des couples migratoires traditionnels.

Il ne s’agit plus seulement de migrations de main d’œuvre. Des Africains s’établissent aux États-Unis, des Chinois en Europe, des Philippins au Moyen-Orient, etc. Les migrants circulent désormais sur de longues distances et s’adaptent aux besoins professionnels des pays d’accueil. Les migrants sont ainsi sollicités par de nouveaux secteurs économiques : les mondes des universités et de la formation, des affaires, de l’informatique, de la médecine, du sport, à la faveur du boom de leurs activités, sont devenus les moteurs de ce mouvement des élites.

Dans ce mouvement, la répartition des langues joue un rôle essentiel et ambivalent. La prépondérance universelle de l’anglais, de surcroît langue de l’informatique, favorise l’installation aux Etats-Unis des ingénieurs et intellectuels issus du sous-continent indien anglophone mais aussi la sous-traitance aux entreprises indiennes de fonctions relativement qualifiées.


Dans le monde francophone, les courants dans les deux sens entre la France et le monde africain se diversifient non seulement vers la Belgique wallonne et la Suisse romande, mais surtout vers le Québec. Des phénomènes analogues concernent les mondes hispanophone et lusophone. A l’inverse la Chine, antique « Empire du Milieu » est devenu « atelier du monde », mais sa langue et son écriture y rendent difficiles l’installation de de main d’œuvre étrangère alors que les étudiants chinois se forment à l’anglais et aux autres langues occidentales.

Un autre aspect des migrations contemporaines est leur caractère urbain. Les migrations de jadis étaient de peuplement : elles conduisaient les migrants à occuper et mettre en valeur des espaces déserts ou peu denses. Aujourd’hui, les migrations se dirigent vers les grandes villes, riches en emplois, nœuds des réseaux migratoires, où s’organisent plus facilement les activités informelles voire illégales. Et le cosmopolitisme propres aux grandes métropoles favorise l’anonymat des nouveaux venus, leur intégration dans des quartiers ethniquement marqués puis leur diffusion plus ou moins rapide dans le reste de la société.

Pour une politique démocratique de population

Le développement des technologies modernes de l’information et de la communication, qui explique les migrations contemporaines, rend aujourd’hui possibles de grands progrès dans leur gestion. En contrepartie des contrôles policiers et sanitaires, d’une part, des concessions d’exploitation des énormes fichiers personnels désormais gérés par le secteur privé (banques, compagnies d’assurance, réseaux de télécommunications…) d’autre part, les Etats ont à mettre en place des procédures statistiques indispensables. Il y a là un enjeu politique majeur pour le 21ème siècle, aussi important que la gestion des ressources énergétiques ou du réchauffement climatique. Le but serait de construire un lieu de négociations entre Etats, une « Organisation mondiale des migrations », qui jouerait pour les personnes, mutatis mutandis, le rôle de « l’Organisation mondiale du Commerce », pour les marchandises.

Ce n’est pas un hasard si le « décollage » économique contemporain s’amorça à la Renaissance, quand l ‘Eglise catholique organisa le relevé local de l’état civil dans les registres paroissiaux, généralisé en France, par l’Edit de Villers-Cotterêts (1539). La révolution industrielle des 18ème et 19ème siècles s’accompagna de même de recensements démographiques nationaux, initiés dans les pays protestants. L’ère de l’information sera, au 21ème siècle, celle de la connaissance et de la maîtrise des flux migratoires, à l’initiative des grandes démocraties.

A réfléchir…

La croissance démographique se concentre aujourd’hui dans les pays les plus pauvres

Près de 20 % de l’humanité a encore une fécondité supérieure à 4 enfants ou plus en moyenne par femme. Elle vit dans des pays ou régions situés pour la plupart dans deux grandes bandes géographiques : la première va de l’Afghanistan jusqu’au Nord de l’Inde en passant par le Pakistan, et la seconde couvre le gros de la péninsule arabique et de l’Afrique, au sud du Sahara. C’est là que l’essentiel de la croissance démographique mondiale aura lieu dans l’avenir.


En 2005, la fécondité est encore supérieure à 5,5 enfants par femme dans deux pays très peuplés, l’Ethiopie et le Nigeria, ainsi que dans des pays très pauvres d’Afrique Noire, Niger, Sierra Leone…, dans les territoires palestiniens et en Afghanistan.

Pour une politique de population en France

Le solde migratoire est composé de plusieurs éléments, immigration et émigration des Français et des étrangers, dont seule l’immigration des étrangers est à peu près connue. Restent à mesurer le solde migratoire des Français et le flux d’émigration des étrangers. Un dénombrement exhaustif périodique, disons quinquennal pourrait être obtenu par une gestion intelligente des fichiers de Sécurité sociale, aujourd’hui étendue à tous les résidents (couverture maladie universelle).

Par ailleurs, le fonctionnement même des institutions démocratiques est intimement lié aux mesures démographiques. Ainsi, le nombre de Représentants qu’élit chaque Etat des Etats-Unis est, depuis la Constitution de 1790, proportionnel à la population de l’Etat constaté par le recensement décennal. Des dispositions analogues peuvent être adoptées par tous les états démocratiques et il est choquant dans ces conditions qu’en France les circonscriptions législatives soient, en 2007, encore fondées sur les résultats du recensement… de 1982.


Glossaire

Croissance relative : croissance absolue rapportée à l’effectif de départ, mesurée en % par an (exemple : 75 ùmillions d’habitants de plus rapporté à 6;5 milliards, représente une croissance relative de 1,2% par an).

Croissance absolue : nombre d’habitants supplémentaires de la population, mesuré chaque année.

Transition démographique : Processus par lequel une société passe d’un régime à fortes mortalité et natalité, s’équilibrant à peu près, à un régime à faibles mortalité et natalité s’équilibrant aussi. La baisse de la fécondité est le phénomène central de la transition démographique. La transition démographique aura duré en France environ deux siècles, alors qu’elle a ou aura été beaucoup plus rapide dans les autres pays.

Population stable, stationnaire : Populations théoriques sans migrations extérieures et à régimes de mortalité et de fécondité constants. S’il y a autant de naissances que de décès, la population est dite stationnaire. Si les régimes de mortalité et de natalité ne s’équilibrent pas, on parle de population stable. Le taux d’accroissement annuel d’une population stable est constant. Il est nul pour une population stationnaire.



En savoir plus…

Bibliographie

J.-C. Chasteland, J.-C. Chesnais : La population du monde. Enjeux et problèmes INED, Travaux et Documents, cahier n°139, 1997. Préface de T. de Montbrial - Postface de G. Balandier

P.J. Thumerelle, V. Dufosse Géographie du peuplement et des migrations de populations Belin, 2004

D.L.Poston, M. Micklin (dir.) : Handbook of Population, Springer, New-York, 2005.

G. Pison : « Tous les pays du monde », Population & Sociétés, INED, n° 414, juillet-août 2005. Voir aussi les n° 382 et 405.

Revue Européenne des Migrations Internationales (créée en 1985 par Gildas Simon), trimestrielle, Université de Poitiers.

Webographie

Institut national d’études démographiques : www.ined.fr. Liens avec de nombreux sites pédagogiques et documentaires, français et étrangers.

Population Reference Bureau : www.prb.org. Site de l’éditeur de la célèbre et annuelle World Population Data Sheet. Pages en français accessibles.

Bureau of the Census : www.census.gov/ipc/www/. Le remarquable « International Population Center » du Bureau du recensement américain.

Banque mondiale : www.worldbank.org « Rapport sur le développement dans le monde ». Pages en français accessibles.

Conseil de l’Europe : http://www.coe.int/t/f/cohésion_sociale/population/ Evolution démographique récente en Europe.

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La Bible hébraïque présentée, traduite (8 versions) et commentée sur JUDÉOPÉDIA
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MLL en vidéo UTLS, 26 février 2000, “Migrations et tensions migratoires”.

Une réponse à “Populations du monde : de l’’explosion à la gestion”

  1. John May a écrit :

    Ce papier est très intéressant. Cependant, j’aurais structuré les choses de manière un peu différente.

    Malgré le ralentissement de la croissance démographique, il y a toujours 35 pays dont 31 en Afrique sub-Saharienne qui ont une fécondité (ISF) de 5 enfants et plus. Ces pays vont littéralement exploser, malgré le sida. Il faut donc intervenir.

    Il y a les pays intermédiaires (ISF entre 5 et 2.1) ou il y a toujours des poches de forte fécondité (Inde) et des inégalités importantes. Il faut aussi agir.

    Enfin, il y a les pays en dessous du fameux 2.1: certains sont un peu en dessous (la France), mais d’autres sont très en dessous. Un ISF de 1.8 mettons et un de 1.2 ont des conséquences totalement différentes. Il faut encore agir. Cela nous amène au vieillissement et aux migrations internationales. Que faut-il faire, comment gérer ces phénomènes ? Ici, j’aurais mis le plaidoyer pour les données (entre autres sur les flux migratoires).

    On est dans un monde de dilatation démographique (Afrique et Niger par exemple) et de contraction démographique (Russie) avec dans ces derniers pays vieillissement et immigration. Les flux migratoires sont mal connus, c’est certain, et surtout ils changent le tissu social des pays d’accueil malgré ce que nous serinent certains.

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