Le péché originel de la politique familiale française

Articles sélectionnés Ajouter un commentaire

Revue ”Agir”
L’engrenage démographique
n° 29, janvier 2007

Le système français de Sécurité Sociale a été construit à la Libération en période d’inflation forte et de plein emploi des hommes. Les femmes mariées restaient alors en majorité « au foyer ». Ce système n’est plus adapté à notre temps d’inflation faible, de chômage de masse et de travail professionnel des femmes. Or il n’existe aujourd’hui aucune procédure permettant de piloter ensemble les dépenses et les recettes de la Sécurité Sociale. Un budget est à créer, régionalisé à des fins pédagogiques, contrôlé de façon aussi démocratique que possible.

Cet article suggère en ce sens
- de transformer les allocations familiales en « impôt négatif »,
- d’accroître l’importance des impôts directs à barème progressif et familial tant sur le revenu que sur le capital
- d’exonérer complètement le travail peu qualifié et les revenus les plus bas,
- de rétablir le Commissariat du Plan et de faire des fichiers de la Sécurité sociale une source statistique aussi fondamentale que l’état-civil.

Du “sursalaire” aux allocations familiales

La création des allocations familiales remonte à 1932. Il s’agissait à l’époque de généraliser les ” sursalaires ” attribués à l’initiative du patronat chrétien aux ouvriers chargés de famille, et financés par une cotisation versée par l’employeur à des ” caisses de compensation “. Encore aujourd’hui la cotisation familiale fait partie des cotisations patronales, prélevées sur salaires et « à la charge de l’employeur ». Il y a là un « péché originel », dont nous allons suivre les prolongements et les conséquences.

Les sursalaires étaient d’abord identiques pour chaque enfant. Mais les allocations familiales furent établies dans une visée nataliste ; la saignée de la guerre de 1914 était proche. Elles furent donc rendues progressives selon le rang de l’enfant : 5 % d’un certain salaire de référence au premier enfant - 10 % au second - 15 % au troisième. En 1939, le Code de la Famille renforça encore la progressivité qui devint : 0 - 10 % - 20 %. L’allocation au premier enfant était ainsi supprimée, en vertu des principes natalistes : il n’y a pas lieu d’encourager la naissance du premier enfant, « il vient toujours ». Quant au troisième enfant, celui qui crée la « famille nombreuse », sa naissance était fortement encouragée.

Salaire individuel et revenu total


À la Libération, la politique nataliste fut confirmée et les allocations familiales, financées sur des cotisations patronales plafonnées, furent étendues à tous les salariés. Les Caisses d’allocations familiales (CAF), qui en assurent la distribution, furent de plus progressivement chargées de contribuer avec les collectivités locales au développement des services de voisinage aux familles modestes (crèches familiales, assistantes maternelles, colonies de vacances…).

Deux autres dispositions essentielles complétèrent la « politique familiale » :
- les autres cotisations de Sécurité sociale, notamment celle de l’assurance-maladie, furent également assises sur les salaires du ménage, indépendamment du nombre de personnes couvertes, ce qui revenait en particulier à faire couvrir le « risque maladie » des familles nombreuses par les personnes seules, couples sans enfant et familles peu nombreuses ;
- le barème progressif et familial de l’impôt direct, dit quotient familial, organisa, lui aussi, une importante redistribution allant des familles les moins nombreuses vers les plus nombreuses. Ce mécanisme est d’autant plus favorable qu’on paye plus d’impôt, et bénéficie donc surtout aux familles aisées, et ce d’autant plus que les revenus du couple sont inégaux. On parle dans ce dernier cas de « quotient conjugal ». S’il n’y a pas de revenu de l’épouse, l’avantage est maximal : il y a là un fort encouragement au mariage des titulaires de hauts salaires avec une « femme au foyer ».

Ces deux mécanismes apparaissent donc complémentaires, les allocations forfaitaires financées par des cotisations salariales étant favorables aux familles modestes, le quotient familial aux familles aisées. Mais ils s’opposent sur de nombreux points. Les cotisations sont assises sur des salaires individuels et sont payables « dès le premier franc ». Au contraire l’impôt sur le revenu doté du quotient familial porte sur les revenus totaux du foyer, salariaux et autres, et est doté d’un « abattement à la base » qui exonère les revenus les plus bas. De plus l’impôt progressif relève du budget de l’Etat, discuté annuellement par le Parlement, tandis que les cotisations salariales relèvent du pouvoir réglementaire et sont discutées de façon informelle avec les « partenaires sociaux », euphémisme non constitutionnel qui désigne les syndicats ouvriers et patronaux co-gestionnaires des Caisses de Sécurité sociale. Quant au cumul des deux mécanismes, qui pourrait atténuer leurs défauts respectifs, il pénalise au contraire les revenus moyens, trop élevés pour être significativement accrus par les allocations familiales, trop faibles pour être concernés par le quotient familial : les jeunes couples aux salaires moyens et voisins, encore sans enfant ou avec un seul enfant, auraient été les oubliés du système, si n’avait régné sous la Quatrième République une inflation virulente. Celle-ci était très favorable aux jeunes couples, à qui elle permettait d’emprunter à des conditions favorables et de rembourser « en monnaie de singe ». En s’attaquant avec succès à l’inflation, avec le plan Rueff de 1959, le Général De Gaulle allait porter un premier coup sévère à sa propre politique nataliste de la Libération, et faire apparaître en pleine lumière ses insuffisances. Un second coup survint en 1967 : la loi Neuwirth légalisa la contraception et fit diminuer le nombre de naissances non désirées, sans qu’aucune incitation nouvelle n’encourage les autres.

Une euphorie artificielle

En 1967 aussi, le gouvernement Pompidou, par ordonnances, scinde la Sécurité sociale en trois grandes caisses nationales gérant trois ” risques “ : la maladie, la famille, la vieillesse ; il y ajoute l’UNEDIC, caisse nationale de l’assurance chômage. Cette décision aggrave et pérennise le financement sur salaires et la mainmise des syndicats sur la gestion de la Sécurité sociale. Les quatre caisses ont la même source de revenus : les cotisations salariales, ouvrières et patronales, plafonnées ou non, prélevées à la source dès le premier franc. Or ces prétendus « risques » sont complètement différents, ne serait-ce que par leur caractère aléatoire ou fatal, heureux ou malheureux. Surtout le système mis en place n’est pas régulé. On encaisse d’autant plus de cotisations que les assurés sont actifs, jeunes, célibataires, bien portants. Et on paye d’autant plus de prestations qu’ils sont âgés, chargés de famille, malades, chômeurs. On crée ainsi une euphorie artificielle pendant toute la montée en charge du système, d’où de nombreux droits accordés, suivi d’un déficit permanent quand il faut tenir les promesses faites. Et pour corriger ce déficit, faute de pouvoir fiscaliser quoi que ce soit, on ne peut qu’augmenter les cotisations, qui perçues dès le premier franc, pèsent sur le coût de l’embauche et donc contribuent à créer puis à accroître le chômage.

Or la population active se transforme considérablement. L’allongement de la scolarité diminue l’activité professionnelle des jeunes. L’abaissement de fait de l’âge de la retraite, qu’entraînait à l’époque la plus grande fréquence du statut de salarié, diminue celle des vieux. La montée décisive de l’activité professionnelle des femmes, généralisant le “couple à deux salaires”, qui deviennent majoritaires en 1976, bouleverse alors l’économie du système, jusqu’à en pervertir l’intention.


En 1972, nouvelle occasion manquée. Le gouvernement Chaban-Delmas Delors, décide de limiter les dépenses sociales en n’attribuant plus certaines prestations sociales que « sous conditions de ressources ». Il y a là une facilité appelée à un grand développement. Elle paraît raisonnable – ne faut-il pas concentrer l’aide sur ceux qui en ont besoin ? - mais elle complique la politique familiale, en la bureaucratisant (on voit apparaître des « déclarations de ressources » et des « certificats de non-imposition ») et en y introduisant d’aveugles « effets de seuil » et autres « effets pervers » qui encouragent la fraude. Deux célibataires aux bas revenus ont droit séparément aux dites prestations : pour continuer à en bénéficier, mieux vaut ne pas mettre les revenus en commun et donc… ne pas se marier.

La copine au bureau


En 1973, le nombre de mariages, de 416 000 l’année précédente, s’abaisse à 401 000. On ne reverra plus jamais une année de 400 000 mariages. La baisse qui s’amorce sera si profonde que, dix ans plus tard, la croissance des divorces aidant, ce sera l’effectif même des couples mariés qui se mettra à diminuer : le total des divorces et des veuvages annuels devient supérieure à celle des mariages. Les proportions de femmes salariées, puis de femmes mariées salariées, puis de mères de famille salariées augmentent. Ces mouvements s’accompagnent, selon des modalités diverses, de retard de l’âge au mariage, de baisse de la fécondité, de croissance du divorce, de refus croissant du mariage. Une norme sociale a basculé. Les enfants (0 à 16 ans) “dont la mère travaille” sont eux-mêmes devenus majoritaires en 1982. Considéré d’abord comme procurant aux ménages un revenu d’appoint provisoire, le salaire féminin est peu à peu devenu un élément constitutif permanent du statut social du ménage comme de la femme elle-même. En cas d’interruption d’une des deux activités professionnelles - celle de la mère le plus souvent - la perte de salaire crée un important manque à gagner qu’aucun système d’allocation ne peut combler. Le niveau et l’évolution projetée de chacune des deux carrières deviennent essentiels pour le revenu et leur concurrence éventuelle accroît les risques de rupture des couples, notamment les plus modestes pour qui ne jouent pas les incitations du quotient familial. Et pour les autres, ces incitations s’émoussent dès lors que les revenus des deux membres du couple se rapprochent. Le mariage n’est plus l’acte fondateur d’un couple. Il en confirme simplement la validité, souvent pour des besoins administratifs ou bancaires. Le statut de “couple de célibataires” est accepté par une société oublieuse de l’ancien adage “Boire, manger, coucher ensemble, c’est le mariage, ce me semble “. Tout se passe comme si s’était créé un mariage “social”, sans cérémonie, et sans publication de bans, qui se juxtapose au mariage “civil” : il suffit de faire une croix dans la case de la feuille de Sécurité sociale “vit maritalement avec l’assuré “. Au modèle de l’épouse au foyer, succède après mai 1968 celui de la copine au bureau, appelé par le sociologue Louis Roussel « cohabitation juvénile ». Aujourd’hui la moitié des naissances de premiers-nés a lieu dans des couples non mariés.

Retraites et patrimoines

Le premier choc pétrolier (1974) avait précipité l’industrie sidérurgique dans la crise. Pressés par les évènements, les pouvoirs publics, les entreprises et les syndicats crurent trouver une solution dans l’abaissement de l’âge de la fin d’activité. On organisa alors la mise en cessation anticipée d’activité ou la dispense d’activité des sidérurgistes à un âge de plus en plus bas, jusqu’à ce que le gouvernement Mitterrand Mauroy, tenu par des accords électoraux avec la CGT, commette à son tour une erreur décisive en pérennisant cette commodité, et abaisse l’âge légal de la retraite à 60 ans (1982).

La bonne solution aurait consisté et consiste toujours à faire dépendre la date du départ à la retraite de la durée d’activité, et non plus de l’âge. Cela aurait permis de satisfaire à la fois les ouvriers et employés aux tâches ingrates, qui aspirent à partir tôt à la retraite et les cadres qui, entrés tard, après de longues études, dans la vie active, ne sont pas pressés de renoncer à leurs activités gratifiantes. Au lieu de cela, l’économie française généralisa les « préretraites », s’administrant ainsi avec bonne conscience une puissante drogue. La désintoxication, rude et douloureuse, n’a commencé que bien plus tard, avec l’allongement de la durée de cotisation des salariés du secteur privé, par Édouard Balladur (1993), puis des fonctionnaires, par François Fillon, Jean-Pierre Raffarin étant Premier Ministre (2003).

Les phénomènes d’accumulation font que les inégalités entre revenus des personnes âgées sont plus grandes que les inégalités entre revenus d’activité, et que les inégalités entre patrimoines sont encore plus grandes que les inégalités entre revenus des personnes âgées. Il est donc essentiel d’entretenir les procédures de redistribution que sont les impôts directs progressifs, non seulement sur les revenus mais aussi sur le capital. Or les Français détiennent des ressources patrimoniales considérables, plus de 5 années de produit intérieur brut selon l’INSEE, susceptibles d’être partiellement mutualisées. Celles-ci sont soumises essentiellement à l’impôt sur les successions et à la taxe foncière des collectivités locales, accessoirement à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

Le vieillissement de la population entraîne d’importantes transformations anthropologiques, notamment le retard progressif de l’âge à l’héritage. L’influence de ces transformations sur la répartition des patrimoines n’a pas fait l’objet d’études systématiques, encore moins de débats publics. Il y a là un tabou qu’il est urgent de rompre. De même, les économies que la Sécurité sociale tire des activités domestiques et du secteur non monétaire sont largement ignorées dans une économie libérale, qui idéalise le marché. Les ” emplois ” à temps plein des ” femmes au foyer “, à temps partiel des femmes ” actives “, sont ainsi absents de tous les comptes : enfants gardés par les mères et grands-mères, et non par des crèches publiques, personnes âgées et très âgées dépendantes, de plus en plus nombreuses avec le vieillissement de la population, à la charge des ménages et non placées dans des institutions. Cette économie domestique joue aussi un rôle considérable dans le soutien aux chômeurs. Une majorité de chômeurs appartiennent à un ménage où le père ou la mère ou le conjoint est titulaire d’un emploi, et qui lui offre au moins un toit, forme d’allocation de logement qui n’apparaît dans aucun compte.

Le Commissariat général du Plan avait vocation à mettre en lumière tous les services que rend cette économie domestique et à en organiser la pérennité. Ce fut une grave erreur de le paralyser puis de le supprimer. Toutes ces études omises feraient apparaître que les retombées des investissements publics, en commençant par ceux de l’Education nationale et de la Santé publique, profitent d’abord à ceux qui accèdent à des emplois mieux rémunérés et qui vivent plus longtemps. Ce ne serait que justice de les faire contribuer davantage aux coûts de fonctionnement de l’Etat, en alourdissant la fiscalité progressive et déclarative sur les patrimoines. Au propriétaire d’estimer la valeur de son bien, par exemple à l’occasion d’un contrat d’assurance. Mais la collectivité est alors en droit, sous diverses conditions, de le lui acheter à cette valeur.

Du RMI à la prime pour l’emploi

Le processus de modernisation du système français d’imposition fiscale et sociale ne fut enfin engagé que par le gouvernement Rocard (1988-1991), qui mit en oeuvre une stratégie de contournement des syndicats imaginée au cabinet de Jacques Delors par Dominique Strauss-Kahn et Denis Kessler. Après l’institution du « Revenu minimum d’Insertion » (RMI) le 1er décembre 1988, puis le “ déplafonnement ” hardi de la cotisation famille, la loi de finances pour 1991 créa un hybride d’impôt et de cotisation sociale, la Cotisation sociale généralisée (CSG). A l’inverse des cotisations sociales prélevées sur les seuls salaires, la CSG est assise sur l’ensemble des revenus , y compris ceux du capital. Mais elle reste proportionnelle et perçue dès le premier franc.

L’institution du RMI ne s’accompagna pas d’une réforme du salaire minimum (SMIC). Celui-ci n’a de sens qu’en période de plein emploi ; pour un chômeur, l’important est le revenu minimal. Le SMIC aurait donc dû être réduit à ce qu’était le SMIG au départ, un salaire minimum de l’heure de travail non qualifié. Le RMI se serait alors énoncé, pour un travailleur isolé, en nombres d’heures de SMIG par semaine ou par mois . Les discussions ultérieures sur la semaine de 35 heures y auraient gagné en clarté. De même le revenu correspondant à l’abattement à la base de l’impôt sur le revenu aurait dû lui aussi être énoncé en multiple de. RMI.

La tentative de réforme d’Alain Juppé, en 1995, sapée dès l’abord par la promesse de Jacques Chirac de diminuer l’impôt sur le revenu, institua le débat annuel du Parlement sur le financement de la Sécurité sociale, avancée démocratique notable. Elle se heurta pour le reste à d’insurmontables mouvements de protestation. On doit ensuite au gouvernement Jospin l’institution imprévue et fortuite, en 2001, de la “ prime pour l’emploi ”, à la faveur d’un malencontreux plafonnement des allocations familiales censuré par le Conseil Constitutionnel. Cet « impôt négatif », plusieurs fois augmenté depuis, accroît le pouvoir d’achat de catégories modestes et, soutenant ainsi la consommation, contribue aujourd’hui à la baisse du chômage. La gauche institua surtout la « Couverture maladie universelle » (CMU) qui garantit une couverture maladie minimale, non seulement à tous les citoyens, mais aussi à tous les résidents en France. Cette réforme remarquable, dont la France devrait avoir toutes raisons de s’enorgueillir, a été malheureusement perçue comme ajoutant une cause supplémentaire au déficit chronique de la Sécurité sociale.

La prime pour l’emploi amorçait l’intégration des allocations familiales et des cotisations correspondantes dans le système d’imposition directe. Elle n’aurait pas été possible sans l’informatisation simultanée des services de contributions directes. Jusque-là, il était admis que le jeu de l’abattement à la base dispensait près de la moitié des ménages de payer l’impôt direct et même, sinon théoriquement du moins pratiquement, de faire une déclaration de revenus. Exiger celle-ci aurait submergé les perceptions pour une collecte négligeable. L’informatisation, entre autres vertus, a celle de faire sauter ce verrou, et de répertorier tous les ménages, y compris les plus modestes et les plus précaires. Ceux-ci ont même intérêt à se faire connaître, s’ils ont droit à une prime ou à une allocation.

Esquisse d’une refonte ambitieuse

Il est donc temps de réintégrer la Sécurité sociale dans les domaines de compétence du pouvoir politique, sous le contrôle du Parlement et des Assemblées locales et régionales élues. « Consolider » les comptes de l’Etat et autres collectivités avec ceux de la Sécurité sociale est un préalable indispensable (1). Cela ferait apparaître que la France recourt beaucoup plus que ses partenaires de l’Union européenne aux cotisations sociales, y compris la CSG, et beaucoup moins à l’impôt direct. Cela conduirait à deux fusions spectaculaires, d’une part celle des allocations familiales dans la fiscalité, nationale et locale, d’autre part celle de l’impôt progressif sur le revenu avec la CSG, dont le rendement a désormais dépassé celui du premier.

De même que le Sénat est l’assemblée où convergent les préoccupations et les arbitrages concernant les collectivités locales, le Conseil économique et social pourrait devenir celle où convergent les préoccupations et les arbitrages concernant les syndicats et grandes associations. Les Conseillers seraient élus au suffrage indirect par des collèges de syndicalistes et de responsables d’associations eux-mêmes élus par la « base ». Ainsi le monde syndical et le monde associatif redeviendraient des voies privilégiées de « l’ascenseur social », où s’affirmeront et se confronteront les talents, indépendamment des origines sociales et ethniques, et des affiliations philosophiques, politiques ou religieuses.


Ce Conseil économique rénové serait le lieu de discussion et d’adoption des budgets de la Sécurité sociale. Il faudra partir d’un état des lieux, constatant d’abord la répartition actuelle des « prélèvements obligatoires » selon les revenus et la configuration familiale, et l’effet de chaque prélèvement sur le détail des feuilles de paye.… On ferait ainsi l’inventaire des complexes « barèmes de fait » aujourd’hui appliqués et de l’écheveau des règles d’attribution, ce qui conduirait à dresser ensuite un programme ambitieux de simplification, supprimant en particulier les conditions de ressources…


L’état civil, institué pour des raisons juridiques, est devenu ensuite la source statistique essentielle de l’évolution des populations. De même, le traitement statistique des cartes Vitale, convenablement normalisées, pourrait instituer un « état civil des déménagements », qui permettrait de suivre « sur le terrain » la constitution et l’éventuelle séparation des couples, mariés ou non, la naissance et le départ du foyer des enfants successifs, ainsi que la présence éventuelle de personnes dépendantes à charge. On serait ainsi conduit à la réorganisation décentralisée, sous le contrôle des Assemblées élues, des grands fichiers de l’assurance-maladie, des allocations familiales, des caisses de retraite, du chômage, de l’immigration, … et à leur vérification périodique par un recensement pertinent. Dans cette organisation, le statut des couples, mariés ou non, et des familles, traditionnelles, monoparentales, recomposées…, serait simplement déclaré par les intéressés, l’important étant que ce statut soit identique pour le fisc et pour la Sécurité sociale. Les droits ouverts par la détention d’une carte à jour permettraient de faire participer la population à la qualité de l’information collectée.


Les services des contributions directes continueraient de percevoir les impôts proprement dits, tandis que les caisses d’allocations familiales continueront de verser les allocations familiales devenues impôts négatifs et d’administrer le R.M.I. et autres « minima sociaux ». Les allocations familiales, y compris l’allocation-logement et les allocations pour handicapés, retrouveraient leur forme initiale d’allocations forfaitaires, effectivement versées aux familles modestes, déduites des impôts des familles aisées. Il serait important de rétablir des allocations significatives dès le premier enfant, pour lutter contre les facilités introduites par la contraception et contre la tendance au retard excessif de l’âge à la constitution des couples et de l’âge à la première maternité. La prime pour l’emploi, actuellement soumise à conditions de ressources, serait progressivement généralisée en tant que ristourne forfaitaire sur la CSG, de façon à atténuer, voire annuler, la taxation de la partie basse des revenus, à concurrence du RMI.

Conclusion

La réforme proposée permettrait ainsi tout à la fois de :
- personnaliser le mieux possible l’administration générale en adaptant à chaque cas particulier des règles aussi simples et générales que possible ;
- soumettre aux Assemblées locales, régionales et nationales des comptes et des budgets clairs, de façon que la presse et le public puissent en suivre les débats et participer intelligemment aux campagnes électorales ;
- produire enfin une information démographique et statistique élaborée, mise à la disposition du corps enseignant et des relais médiatiques et informatiques, pour la documentation et l’instruction civique et morale des futurs citoyens électeurs.

Est-il permis de citer l’article 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ? « Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »

Note

(1) Cette proposition est aussi celle du rapport du sénateur Philippe Marini du 25 octobre 2006 intitulé “Quels prélèvements obligatoires ? Pour quels besoins collectifs?“.

Voir aussi dans LE MONDE du 22 août 2007, p. 13, les propositions de Corinne Lepage.

Sommaire du Blog MLL
Sommaire du Site MLL
Sur Wikipédia
Blog de Judéopédia

4 ré:ponse à “Le péché originel de la politique familiale française”

  1. P Golt a écrit :

    Beaucoup d’excellentes idées de détail dans ce billet très fouillé !

    On a cependant oublié un facteur essentiel.
    Je rougis d’avoir à rappeler qu’on ne peut distribuer que ce qu’on a produit.
    Ce n’est pas en chassant les véritables forces productives, c’est-à-dire globalement ceux qui ont réussi et, par conséquent, disposent d’une certaine aisance que l’on accroîtra le gâteau à partager.
    Il suffit à cet égard de constater le départ de notre matière grise vers les États-Unis et l’exode de nombreux jeunes gens de valeur vers les pays où ni les efforts, ni la réussite dans le travail ne sont pénalisés.

    En poussant le système préconisé à la limite nous serons tous heureux car enfin égaux mais dans la m…isère.

  2. Michel Louis Levy a écrit :

    Il y a lieu en effet de considérer la “concurrence fiscale”, et prendre garde de ne pas taxer capitaux, hauts revenus et jeunes entrepreneurs plus qu’ils ne le sont chez nos partenaires européens. C’est pourquoi il faut commencer par :

    ” partir d’un état des lieux, constatant la répartition actuelle des « prélèvements obligatoires » selon les revenus et la configuration familiale, et l’effet de chaque prélèvement sur le détail des feuilles de paye.…”

    et par constater que

    ” la France recourt beaucoup plus que ses partenaires de l’Union européenne aux cotisations sociales, y compris la CSG, et beaucoup moins à l’impôt direct.”

  3. hugues leblanc a écrit :

    Ah bon. Le Conseil Economique et Social peut servir à quelque chose ?

  4. Michel Louis Levy a écrit :

    OUI. Les élections de ses membres et ses débats pourraient avoir d’utiles vertus pédagogiques.

    Michel

Laisser un commentaire

WP Theme & Icons by N.Design Studio
Entries RSS Comments RSS Connexion