L’état civil des immigrés
Ma conférence Migrations et tensions migratoires de l’ »Université de tous les savoirs », tenue au CNAM le samedi 26 février 2000, s’achevait par un appel à la création d'<< une forme moderne d’instruction civique, où on comparera librement les institutions, les fêtes et calendriers, les rites religieux, les langues et écritures, et les motivations de bon nombre d’immigrés >> puis par l’exclamation <<Bienvenue en France ! Faisons connaissance.>>
Sur la religion dans l’instruction civique, on peut partir de « Quel contenu religieux dans l’enseignement laïque ? ». Mais « Bienvenue en France » était aussi le titre du chapitre 4 de notre livre, avec Robert Fossaert, »100 millions de Français contre le chômage » (1992), lequel chapitre 4 comprenait une sous-partie intitulée « Éclairer les Français sur les populations de la France ».
En voici le texte, à l’attention de M. Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité Nationale et du Codéveloppement.
Les Français accepteront la perspective de voir leur nombre s’accroître résolument, par augmentation des naissances, des naturalisations (et autres formes d’acquisition de la nationalité) et des arrivées d’immigrés, s’ils comprennent que tel est leur intérêt à tous, pour la résorption du chômage et la relance de l’économie. Pour qu’ils s’accoutument à un flux délibéré d’immigration, il conviendra de les aider à mieux discerner le rôle exact des immigrés, au plus près de leur expérience quotidienne.
La répartition des étrangers et immigrés sur le territoire est très inégale, leur densité étant maximale dans les grandes agglomérations industrielles et frontalières. Leur nombre total en France est une notion si générale que le public et même le personnel politique s’y perdent. Il faut donc mettre à la disposition des autorités locales, des leaders d’opinion, des enseignants, des journalistes, etc., des informations pertinentes sur le poids et l’évolution de l’immigration dans les groupes dont ils font partie : collectivités locales, établissements d’enseignement, entreprises, etc.
Il est inutile d’aggraver la cacophonie sur ces sujets, par la création d’on ne sait quels observatoires de l’emploi ou de l’immigration, comme la suggestion en est faite régulièrement. Au plan national, il suffirait qu’un observatoire de la population centralise les informations issues de l’Insee, des caisses nationales de Sécurité sociale (maladie, vieillesse, famille) et des ministères de l’Intérieur ou des Affaires sociales, à charge pour cet observatoire unique de faire rapport, sous des formes adéquates, au Parlement et au gouvernement, mais aussi d’informer les médias, le système scolaire et tous autres publics. Il devrait aussi assurer — sous le contrôle de la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) — la gestion des fichiers généraux de la population actuellement détenus par l’Insee : d’une part, le répertoire électoral des Français majeurs, grâce auquel nul n’est inscrit sur deux listes électorales distinctes ; d’autre part le répertoire d’identité des personnes physiques qui est source du numéro national d’identité — plus connu sous le nom de numéro de Sécurité sociale — et qui concerne toutes les personnes établies sur le territoire.
L’observatoire de population, qui fusionnerait les compétences démographiques de l’Ined et de l’Insee, disposerait ainsi des moyens de suivre l’évolution numérique de la population en toutes ses catégories pertinentes. La possibilité pour chacun de vérifier le contenu des répertoires et de les faire corriger si besoin est — car telle est la transparence dont la CNIL est gardienne — dédramatiserait utilement l’usage des fichiers informatiques, jusqu’à les rendre aussi familiers que les registres d’état civil. Le Conseil d’orientation de l’observatoire exercerait les fonctions actuellement dévolues à diverses instances inutilement accumulées — Haut Conseil de la population et de la famille, Haut Conseil de l’intégration, Conseil scientifique de l’Ined, etc. L’observatoire devrait être, avec le Commissariat du plan et l’Aménagement du territoire (Datar), le noyau d’une nouvelle instance politique, de rang ministériel ou non, mais dotée de l’autorité nécessaire pour coordonner la politique de population, tant dans l’espace national que sur la durée.
Les immigrés seront évidemment concernés par les possibilités nouvelles qu’ouvre l’extension de l’informatique à la vie publique. Contrôlés à l’entrée sur le territoire par la police de l’air et des frontières, ils sont appelés à devenir des assurés sociaux dès qu’ils travaillent régulièrement, puis des contribuables dès qu’ils gagnent convenablement leur vie. Citoyens d’autres pays, ils peuvent devenir des citoyens d’ici. La façon dont les fichiers correspondants enregistrent leur entrée, leur identité et leur franchissement de ces diverses étapes devrait devenir aussi claire pour les intéressés que pour les Français.
Il serait d’ailleurs souhaitable de normaliser une sorte d’état civil des immigrés, fondé sur les déclarations de l’intéressé à son arrivée sur le territoire, appuyées ou non sur des documents du pays d’origine et que seule l’intervention d’un juge pourrait ensuite corriger ou modifier. Semblable à l’état civil qui enregistre dans chaque commune les naissances, mariages et décès, et qui est à la base des statistiques démographiques, le nouvel état civil des immigrés devrait permettre de connaître le nombre des arrivées d’étrangers et de les classer dans les différentes catégories pertinentes : visiteurs, étudiants, résidents temporaires, résidents permanents, etc. La mesure des départs serait plus délicate, car on ne peut efficacement instituer une déclaration de sortie du territoire, comme il y a une déclaration de décès : parmi les millions de résidents français qui voyagent chaque année à l’étranger, il est impossible de distinguer ceux qui vont s’installer ailleurs, d’autant que les intéressés ne savent pas toujours eux-mêmes si leur sortie est définitive, ni où ils s’installeront durablement. Le mieux est donc de supputer les départs, par différence entre les arrivées cumulées et les effectifs recensés régulièrement.
Les informations pertinentes sur les immigrés devraient être enrichies par la gestion intelligente de divers fichiers administratifs. On pourrait ainsi établir divers indicateurs permettant d’évaluer leur intégration : niveaux d’études et de revenus, fréquence des mariages mixtes, etc. En effet, c’est seulement à ce niveau statistique qu’on pourra vérifier si l’immigration prend l’ampleur souhaitée et si l’insertion des étrangers, puis leur intégration, prennent les formes désirées. Un tel effort de clarification est essentiel pour guider la politique que nous préconisons. La notion de quota, en particulier, n’est pertinente qu’au niveau statistique, pas au niveau individuel. Elle peut donner des orientations et permettre de corriger à temps des déséquilibres, mais elle ne permet pas de trier entre les demandeurs d’asile ou de visa qui se présentent simultanément à un poste frontière.
Il sera d’excellente gestion de comparer annuellement la composition et la localisation des populations installées sur le territoire avec les quotas indicatifs explicitant la politique retenue et de faire connaître les résultats de cet examen. Si une telle démarche avait accompagné la venue des Italiens dans la Lorraine sidérurgique ou des Maghrébins dans les usines automobiles de la région parisienne, on aurait pu éviter que des quartiers groupant une seule nationalité se constituent en ghettos et se marginalisent.
Pour suivre localement l’effectif des résidents, beaucoup de pays d’Europe disposent d’un fichier de population géré par la commune. Tout nouvel habitant doit déclarer son adresse à un seul service municipal, mairie, poste, perception ou commissariat de police. En France, seuls les étrangers des diverses catégories — touristes, étudiants, réfugiés, travailleurs — doivent en principe déclarer leurs déménagements. Les Français sont réputés allergiques à la déclaration de domicile, parce que cette obligation fut mise en œuvre sous le régime de Vichy. Moyennant quoi, ils présentent sans barguigner leur avis d’imposition, leur quittance d’électricité ou de téléphone pour justifier de leur domicile. Mieux vaudrait harmoniser progressivement les règles applicables aux étrangers et aux nationaux, en suivant l’exemple des registres municipaux les mieux gérés en divers pays étrangers.
La réforme de notre attitude vis-à-vis de l’immigration n’ira pas sans quelques changements applicables à tous les Français. Personne ne considère les inscriptions sur les registres de l’état civil comme une forme de fichage intolérable. Pourquoi n’accepterions-nous pas de même la déclaration de domicile qui est une formalité déjà largement pratiquée par l’Europe démocratique ? Le mariage à la mairie est une formalité, facultative mais commode, qui dispense les couples de recourir à des preuves plus aléatoires pour prouver leur vie commune et ses conséquences. De même, la déclaration de tout nouveau domicile — sorte de mariage avec sa commune — pourrait déclencher automatiquement toutes sortes de formalités actuellement distinctes et fastidieuses : inscriptions sur les listes électorales, inscriptions scolaires, rôles d’impôts, caisses d’allocations familiales (et d’allocations de logement !), caisses de retraite, fichier de cartes grises, branchements électriques et téléphoniques, etc. À Strasbourg, le Conseil de l’Europe qui a déjà commencé d’étudier cette question est tout désigné pour coordonner un effort de normalisation européenne des registres d’état civil et de domicile. De ces registres aux listes électorales, gérées dans chaque mairie par un service voisin, la différence est mince, comme est courte la distance entre la relance démographique que nous proposons et la réforme démocratique qu’elle a toutes chances d’induire : on y reviendra.
Sur le même sujet, lire Pour un ministère de la Population.
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