Sans sépulture ni acte de décès

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Eve Line Blum-Cherchevsky
Revue du Cercle de Généalogie juive
Numéro 89 (janvier-mars 2007), p. 21-23

En hommage à Abraham Cherchevsky zl
Que sa mémoire soit bénédiction

La plupart des déportés de France non rentrés des camps nazis (toutes déportations confondues, c’est-à-dire victimes de la déportation raciale aussi bien que de la déportation de répression) n’ont jamais fait l’objet d’un acte de décès. Les actes de décès qui ont été établis depuis 1945, ou rectifiés à la suite de la loi du 15 mai 1985, sont pour la plupart, inexacts ou incomplets.

Cela signifie, avec toutes les conséquences que cela entraîne aux plans éthique, administratif et autres, qu’aux yeux de la loi française ces déportés ne sont pas décédés, et encore moins en déportation, si l’on peut s’exprimer ainsi. Et ce, en dépit des commémorations de toutes sortes qui ont lieu chaque année en France, en présence de personnalités officielles et des médias.

En effet, l’application de cette loi, promulguée en 1985, destinée à uniformiser et à rectifier les actes de décès de ces déportés, laisse subsister des erreurs et des insuffisances innombrables. D’autre part, elle présente un vide juridique dont le législateur n’a pas été conscient lors de sa préparation : pour uniformiser la présentation d’un document et pour le rectifier, encore faut-il que ce document existe.

Pour ne prendre que l’exemple du convoi 73, parmi les 878 hommes juifs partis de Drancy le 15 mai 1944 en direction des pays Baltes, dont j’ai vérifié les noms, un par un, le bilan est navrant : plus de 500 d’entre eux n’ont pas encore d’acte de décès ; environ 300 d’entre eux ont fait l’objet d’un acte “rectifié”; parmi ces actes de décès “rectifiés” selon les termes de la loi de 1985, la quasi totalité devra être rectifiée à nouveau pour différentes raisons : notamment la mention “mort à Kaunas/reval” est absurde puisque les deux villes appartiennent à deux pays différents. Actuellement, sauf erreur ou omission de ma part, seuls quatre déportés du convoi 73 ont fait l’objet d’un acte de décès rectifié correctement, à savoir : “mort à Kaunas (Lituanie) ou à Reval (Estonie)”, ceci ayant eu lieu à la suite des démarches que j’ai entreprises, qui ont donné lieu à des instructions précises, mais tardives aux services compétents.

(…)

Si ce dossier ne trouve pas une solution satisfaisante en tous points dans les meilleurs délais, en tout état de cause avant que le dernier descendant direct de nos déportés n’ait disparu, que penseront les générations futures devant cette absence d’actes de décès, que signifie officiellement que tous ces absents ne sont pas morts ? Cela ne pourra qu”apporter de l’eau au moulin des “révisionnistes” : la conclusion ne peut être que celle d’une “invention juive” des chiffres de la déportation.

NDLR - Eve Line Blum-Cherchevsky a consacré six volumes aux déportés du convoi 73 parti de Drancy le 15 mai 1944 (”Nous sommes 900 Français“). Elle poursuit ses interventions auprès des pouvoirs publics. Il s’agit d’obtenir des réponses satisfaisantes, suite à la Loi n° 85-528 du 15 mai 1985 initiée par Robert Badinter, qui concerne les actes de décès des personnes “non rentrées de déportation”.

Voir aussi
Le convoi 73
Nous sommes 900 Français

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2 ré:ponse à “Sans sépulture ni acte de décès”

  1. geo92 a écrit :

    Est-ce de l’incurie administrative, du "je-m’en-foutisme", ou une sorte de négationisme qui n’ose pas dire son nom ?

  2. Eve Line Blum a écrit :

    Les trois à la fois.

    De l’incurie administrative : certainement, à 100 %, si l’on considère l’ensemble des arrêtés ministériels nominatifs déjà publiés, dans lesquels on relève des centaines d’erreurs, d’incohérences, de détails non conformes à la loi du 15 mai 1985, etc. Je pourrais en citer plusieurs pages, nom par nom.

    Du “je-m’en-foutisme”, certainement aussi.

    Une sorte de négationisme qui n’ose pas dire son nom ? Sans doute. Même si Jacques Chirac a reconnu la responsabilité de l’État français dans la déportation, on dirait que cela gêne d’avoir à donner des précisions et à dire clairement et officiellement que 140 000 personnes (toutes déportations confondues) ont été envoyées dans les camps nazis, “grâce à” la collaboration de la police française et à la complaisance d’un certain nombre de civils également collaborateurs, et que parmi ces déportés 115 500 d’entre eux ont disparu dans les camps de la mort.

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