Un enfouissement absolu

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Philippe Sollers parle de Bernard Dubourg

La 23ème livraison de la revue Ligne de risque vient de paraître. Dans un entretien avec les animateurs de celle-ci, Philippe Sollers revient – enfin – sur L’Invention de Jésus.

Voici une des questions auxquelles répond le directeur de L’Infini (les caractères gras sont de MLL) :

« En 1987, vous publiez, dans la collection “L’Infini“, L’Invention de Jésus de Bernard Dubourg, bientôt suivi d’un second volume en 1989. Ces deux volumes révolutionnent radicalement la lecture des Evangiles. Ce ne serait plus des recueils de faits divers ou d’anecdotes sur un dénommé Jésus, ni des reportages à propos de son parcours sur terre. Mais un midrash composé en hébreu (et non en grec !) à partir de la Bible. Dubourg montre comment les lettres sont vivantes, et comment (selon divers procédés) elles engendrent le récit. L’évangélique serait donc un retour de la lettre hébraïque, d’où naîtrait une possibilité nouvelle de salut. Que pensez-vous aujourd’hui de cette thèse ? Et pourquoi les livres de Dubourg ont-ils fait l’objet d’un tel enfouissement ? Ne seraient-ils pas un sésame pour reprendre à neuf deux mille ans de christianisme ? (…) Ne manque-t-on pas cet accomplissement lorsqu’on prend le grec de couverture des évangiles pour du vrai grec ? Lorsqu’on oublie, en somme, qu’il s’agit d’une langue de traduction ? »

Et voici maintenant la réponse correspondante de Philippe Sollers :

« Le cas Bernard Dubourg est évidemment passionnant. Les deux tomes de L’Invention de Jésus, je les ai édités il y a vingt ans dans le sillage de la publication de Paradis. (…) Ses livres mettent en évidence une découverte révolutionnaire. Cela suppose une grande virtuosité dans la mise en regard des langues les unes par rapport aux autres. En l’occurrence, le grec et l’hébreu. On sent à chaque ligne que Dubourg est très cultivé, et qu’il a compris un point que personne n’a compris avant lui. Cette découverte, eût-il pu la faire dans une autre langue que le français ? Je ne le crois pas. La réinjection de l’hébreu dans le Nouveau Testament est une opération de pensée qui a eu lieu, à une certaine époque, en langue française. Que presque personne ne l’ait vu n’y change rien. Il s’agit d’un événement considérable. Il arrive à notre auteur de tomber dans de saintes colères. Avec le temps, on décèle d’ailleurs, dans ses livres, pas mal d’exagérations, mais c’était nécessaire.

A l’époque, qui avait entendu parler du midrash ? De la Kabbale ? Quelques spécialistes, et puis c’est tout. Quant aux liens de l’Evangile avec cela, personne ne l’avait envisagé. Ni les exégètes juifs ou catholiques, ni les scientistes. La découverte de Dubourg a tout de suite fait l’objet d’un enfouissement absolu. En tant qu’éditeur, je me rappelle cette surdité générale. Le refoulement est si fort, en langue française, que c’est précisément là, oh de manière furtive, et tout de suite recouverte, qu’il peut être levé. Par rapport à Dubourg, je trouve qu’il a raison d’insister sur la lettre hébraïque, mais pour autant je ne me passe pas de ce qui, dans l’Evangile, fait récit. (…)

L’Invention de Jésus est resté longtemps sur ma table. C’est un livre d’une importance capitale. (…) Le livre de Dubourg a dû faire face à la coalition de toutes les ignorances. L’ignorance “chrétienne” n’a plus à être démontrée. L’ignorance scientiste l’accompagne. Mais il y a aussi l’ignorance juive. Le livre qui démontre le lien de l’évangélique avec les ressources de la langue hébraïque est une mauvaise nouvelle pour le judaïsme rabbinique. La conversion, autrement dit le retour à la juste observance, sans laquelle on manque la vérité d’Israël, oblige d’adopter le midrash chrétien. Il y a une incompatibilité radicale entre le midrash évangélique et le midrash rabbinique. Où se trouve la vérité du judaïsme ? Quel sens véritable a la Torah ? Les procédures du commentaire sont ici et là les mêmes, mais les deux commentaires s’opposent. Là aussi, il faut donc enfouir. Enfouissement chrétien, enfouissement scientiste, enfouissement juif. A l’époque, Dubourg a été le seul à désenfouir. Les évangélistes ne pensaient pas être “en progrès” par rapport à la Loi juive. S’ils croient pouvoir l’abolir, c’est en l’accomplissant. L’Evangile réalise un retour de la Bible. Son but est une restitution révolutionnaire, nullement une réforme. C’est cela que montre Dubourg. (…) La grande question des Évangiles demeure celle de l’accomplissement des Écritures. Les évangélistes n’ont souhaité, selon Dubourg, que de “restaurer une bonne et saine et juste lecture, et une bonne et saine et juste observance de la parole divine biblique sacrée“. Rien d’autre. Vous sentez l’importance des enjeux, et l’accord secret de tous pour les censurer. (…)

Voir aussi
Dubourg par Zagdanski

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Une réponse à “Un enfouissement absolu”

  1. A.G. a écrit :

    Merci infiniment de nous avoir signaler ce lien. Les lecteurs de Bernard Dubourg ne sont pas si nombreux !

    Voir le forum du site de Philippe Sollers

    http://www.pileface.com/sollers/rubrique.php3?id_rubrique=116#forum649

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