C’ dans l’air

L’excellente émission de France 5, C’ dans l’air était intitulée, jeudi 16 avril, « Les juifs ont peur de disparaître« . J’y ai fait une apparition, ainsi que mon ami et collègue Sergio DellaPergola.

Étaients présents sur le plateau, autour d’Yves Calvi, Raphaël Drai, Michel Wievorka, Frédéric Lenoir, et  » Madame le Rabbin » Delphine Horvilleur.

La conversation a été complétée par trois « sujets » préparés avant l’émission,
– un sur la démographie juive en diaspora, dans lequel j’apparaissais, ainsi que les Rabbins Michaël Azoulay, nouvellement nommé à Neuilly-sur-Seine et Gabriel Farhi,
– un sur l’équilibre démographique Juifs/Arabes en Israël, dans lequel apparaissait Sergio DellaPergola,
– un dernier enfin sur deux cas de conversions au judaïsme.

Comme il arrive souvent, les séquences passées à l’écran étaient un court extrait de ce qui avait été enregistré. Devant la carte de la répartition actuelle des Juifs dans le monde, 5-6 millions en Israël, 5 millions aux Etats-Unis, 500 000 en France, l’essentiel de mon propos consistait à dire qu’une carte analogue établie il y a 80 ans, vers les années 1930, avec un nombre total de Juifs du même ordre, aurait contenu d’autres concentrations, celle du « Yiddishland », exterminée et dispersée par la Shoah, et celles des pays arabes et musulmans, expulsées et dispersées par le conflit israélo-arabe.

À la journaliste Marine Heyndrickx, qui m’interrogeait, j’ai dit que le déclin éventuel du nombre de Juifs ne devrait pas tant inquiéter les Juifs que les non-Juifs : la présence et le développement de communautés juives est signe et source de prospérité et un pays qui perd ses Juifs, comme autrefois l’Espagne, est voué au déclin.

Sur la possibilité de « compter les Juifs », voici la conclusion d’une ancienne conférence:

Pour organiser une enquête de qualité sur la peuple juif, il faut d’abord faire connaître ce qu’on sait déjà. Des articles documentés sur les prescriptions bibliques, sur la façon dont les communautés d’Israël et de la Diaspora les conservent, sur la façon dont les autres religions du Livre les ont adaptées ou oubliées, intéresseraient certainement un vaste public attaché à la Bible, qui dépasse de loin le monde juif. Ensuite il faut organiser l’exploitation statistique des registres d’état civil, permettant le décompte annuel, et autant que possible rétrospectif, des circoncisions, bar-mitzvah, mariages et décès, rassembler les données sur l’assistance aux offices et cérémonies, et sur la participation au Talmud-Torah. Une fois ces conditions satisfaites il sera toujours temps de faire de nouvelles enquêtes, psychologiques et sociologiques, sur d’autres pratiques identitaires, comme le respect de la cacherut et du repos du Chabbat, le voyage en Israël, le militantisme antiraciste et/ou sioniste.

Oui, il existe un peuple juif, qui se manifeste chaque fois qu’un minian , où que ce soit dans le monde, se réunit pour réciter le Chema, pour unir un nouveau couple, pour circoncire un petit garçon, pour réciter le Kaddich en mémoire d’un disparu, chaque fois qu’une famille célèbre le Seder à la Pleine Lune de Printemps, ou que retentit le Chofar de Neïla au Dixième jour de la Septième Lune. Il devrait être possible de mesurer la vitalité de ce peuple, sans transgresser le moins du monde les règles impératives reçues de Moïse, ne jamais recenser personne à son insu.

Quant aux risques d’ »extinction » du peuple juif, il est normal que les rabbins orthodoxes s’en préoccupent. Mais les dialectiques orthodoxes/libéraux, mariages endogames/exogames (« mixtes »), tradition/assimilation, sont permanentes et toute extrapolation est hasardeuse. Les orthodoxes ne sont pas seulement les parents de nombreux enfants, ils sont surtout les garants de la transmission de la Torah et de pratiques culturelles qui, depuis quelques milliers d’années, tiennent parfaitement la route, malgré les persécutions, les incompréhensions et l’assimilation.

Enfin sur l’équilibre Juifs/arabes en Israël, j’ai publié naguère dans Commentaire, précisément avec Sergio Della Pergola, un article dont voici un extrait :

(En 1947-1948) un partage pacifique aurait certainement prévu des déplacements de population négociés mais aussi des accords d’établissement, précisant le statut et garantissant la sécurité tant des Arabes restant en Israël que des Juifs restant en Cisjordanie et à Gaza. Cela ne se fit pas, cela ne s’est pas encore fait et n’est toujours pas en vue.

… et la conclusion :

Il faudra bien un jour admettre qu’il puisse y avoir des habitants juifs en Cisjordanie et à Gaza, de nationalité israélienne, palestinienne ou autre, comme il y a des habitants arabes en Israël. Une fois qu’aurait été négocié l’arrêt du terrorisme contre le retrait des Territoires palestiniens de l’armée israélienne, qu’aurait été permise une certaine osmose des populations, en particulier à Jérusalem, qu’aurait été proclamé un État palestinien faisant régner la loi et l’ordre, une structure économique nouvelle, financée par les États-Unis, l’Union Européenne et les pays arabes et musulmans producteurs de pétrole, pourrait succéder à l’UNRWA et être chargée

de proposer aux réfugiés palestiniens un choix raisonnable entre le “ retour ” en Palestine, de préférence à Israël, l’intégration dans leur pays d’accueil ou un nouveau départ dans les pays où vit déjà une diaspora palestinienne,

de donner les moyens de son développement durable à la Palestine, avec l’aide d’Israël, et des questions d’intérêt commun aux deux peuples comme l’approvisionnement en eau potable, les réseaux de transports et de communications, l’équipement urbain, la protection de l’environnement…

Si la paix règne, les questions des frontières et de Jérusalem perdent de leur acuité. La complexité de la situation tient aux intérêts enchevêtrés des nombreuses parties en présence. Le rapport des Israéliens avec les Juifs de la Diaspora ne sont pas seulement intellectuels, financiers ou familiaux, ils sont fondamentalement migratoires. De même les rapports des pays d’Europe et d’Amérique avec les pays arabes et musulmans ne sont pas faits seulement de commerce ou de pétrole, ils sont faits de millions de migrants venus chercher en Occident instruction et travail. Si les premiers veulent bien admettre que le sionisme pose problème aux seconds, alors ceux-ci doivent admettre que l’islamisme pose problème aux premiers.

A l’équilibre entre deux États, israélien et palestinien, garantissant la sécurité et les droits de tous leurs habitants, y compris les minorités arabe en Israël et juive en Palestine, doivent donc répondre

d’une part un équilibre des pays arabes et musulmans, incluant la Palestine, consacrant leurs ressources et leur ardeur à leur propre développement, ouverts à la coopération internationale et à la compréhension inter-religieuse, luttant contre les menées islamistes internes et externes,

d’autre part un équilibre entre un État d’Israël, ayant vocation à servir de refuge aux éventuelles victimes de nouvelles crises antisémites, et une Diaspora apaisée, travaillant à la prospérité des pays, y compris les proches voisins d’Israël, qu’elle a toujours enrichis de ses capacités.

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