7. Des noms riches de sens

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Il est dans la Bible une catégorie de mots dont la prononciation est plus ou moins conservée dans les traductions : ce sont les noms propres.

Les noms des personnages de la Bible ne sont pas indifférents, et leur sens est souvent explicité. Daniel Sibony fait observer que « les noms des héros bibliques, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, Jésus … sont riches de sens en hébreu mais perdent ce sens lorsqu’ils deviennent en arabe coranique Ibrahim, Ishaqa, Iakoub, Moussa, Issa… » (1). A vrai dire, cette remarque s’applique à toutes les langues, y compris latines : tous ces noms perdent leur sens, en français aussi.

Commençons par Adam, ADM. DM, “Dam“, c’est le sang. On trouve une belle allitération DM ADM (Dame Adame) en Genèse 9, 6 : Si quelqu’un verse le sang de l’homme (DM HADM, Dame HaAdame), par l’homme son sang BADM DMW, BaAdame Damo) sera versé; car Elohim a fait l’homme (AT-HADM, Ète-HaAdame) à son image.. Quant à ADMH, Adamah, c’est la terre, au sens de matière du sol. ADM et ADMH se trouvent en Genèse 2, 7 : YHWH Elohim forma l’homme (AT-HADM, Ète-HaAdame) de la poussière de la terre (MN-HADMH, Min-HaAdamah).

La syllabe Dam est au centre du nom masculin Adam, être humain et premier homme, et du mot féminin ADMH, Adamah, “terre”, au sens de matière du sol, terreau ou “glaise” (l’Adamah est à l’Adam ce que l’”humus” est à l’”homme”). Elle se retrouve dans le “ demos” grec, « peuple », d’où « démocratie », « démographie » et « épi-démie », puis dans le “idem” latin, “semblable”, d’où “quidam” (Adam, c’est un quidam) ; puis, toujours en latin, dans domus « maison », d’où « domestique » et « domicile ». En néerlandais, “Dam” sera le mur de la maison, puis la digue, d’où Amsterdam et Rotterdam. Il faudra que “Dominus“, “maître de maison”, “seigneur”, fasse au féminin “Domina”, pour que le français adopte “Dame” et “Notre-Dame”, remettant DM, Dam, au plus proche de AM, la mère, Èm. Qui doute que l’être humain, et le sang, quoique mots masculins, soient à la fois mâle et femelle ?

Pour Ève, le texte se veut explicite, mais n’est pas limpide. Genèse 2, 20 : Adam nomma sa femme Ève (EWH, ‘Hawa), parce qu’elle a été la mère de tous les vivants (KY HWA HYTH AM KL-EY Ky Hou Hayetah Èm’ Kol-’Hay). Il n’y a pas de lettre commune entre le nom de “Ève”, EWH et le mot “mère” AM, Èm. Le lien est avec le mot “Vie”, EY, ‘Hay, utilisé le plus souvent au pluriel EYM, “‘Hayim”, notamment dans le toast, Le’hayim !, “À la vie !”. En hébreu, EWH et EY commencent par la même lettre gutturale ‘Het, huitième de l’alphabet, transcrite dans ce livre par E. En français, Ève et “Vie” ont en commun la la lettre V, qui vient en l’occurrence du “Vav” hébreu, transcrite dans ce livre par W. Le mot “Vav”, d’ailleurs, s’écrit précisément en hébreu avec deux V, … un double V. Chouraqui traduit EWH par “Vivante”. Dans cette voie, on peut comprendre cette év-idence : “L’Adam appela sa femme Eviva, car tout vivant a pour mère une Vive” : il arrive qu’une mère meurt à la naissance de son enfant - ce sera le cas de Rachel, quand elle enfantera Benjamin - mais au moment où elle a conçu cet enfant, elle était forcément vivante…

“Adam nomma sa femme Ève” : juste avant d’être Ève, Ève est “sa femme”, ASTW, Ichto. Et encore avant, au moment où elle est tirée de l’Adam, elle n’est que ASH, Ichah, “femme”. Genèse, 2, 23 : « A celle-ci il sera crié “femme”, ASH Ichah, car de l’homme KY MAYS Ky MéIch elle est prise ». L’homme, ici, c’est Ich, l’homme-individu, dont Ichah apparaît comme le féminin : une individue, une hommesse ?

Les deux mots, ADM et AYS, Adame et Ich, figurent dans Genèse 4, 1 : “L’homme (HADM haAdame) connaît Ève, sa femme; elle conçoit et enfante Caïn (QYN, Qayin) et elle dit : J’ai acquis (QNYTY, Qanyiti) un homme (AYS, Ich) de par YHWH.” Deux mots différents devraient être traduits par deux mots différents, par exemple : “l’homme connaît Eviva, sa femme ; elle conçoit et enfante Caïn en disant : j’ai acquis un semblable, grâce à YHWH“.

Adam “connaît” (YDŒ, yada’) Ève. Ici apparaît “connaître, au sens biblique”. Au jardin d’Eden, cette connaissance avait commencé par le partage du fruit défendu et par l’aveu “J’ai mangé (Genèse 3, 12 et 13) : le mariage, dit-on, a été “consommé”. Or Caïn (QYN, Qayine) est ici justifié par le verbe QNYTY, Qanyiti, traduit par “J’ai acquis”. Ce nom renvoie aussi à QNA, qina qui signifie “jaloux” : “Moi YHWH ton dieu, je suis un dieu jaloux (AL QNA, El Qina)” dira YHWH au deuxième Commandement (Exode 20,5) : “Tu n’auras pas d’autre dieu face à Moi”, implacable conséquence du Monothéisme. Le champ sémantique commun à “acquérir” et à “jalouser”, c’est l’envie. Toute femme enceinte sait qu’elle porte un enfant, mais son envie, son désir, son obsession, c’est que cet enfant soit un “AYS, Ich“, un homme, et non un animal ou une chimère. Le film “Rosemary’s Baby”, de Roman Polanski (1968), porte précisément sur la terreur éprouvée par une femme dont l’enfant à venir n’est pas celui de YHWH, mais celui du diable. Ève, elle, obtient un “AYS, Ich“, objet de son désir… Tout ceci conduit à hasarder la traduction suivante de Genèse 4,1 : “L’homme consomme Eviva, sa femme; elle conçoit et enfante Caïn, disant : J’ai cannibalisé un semblable avec YHWH“.

Au verset suivant, Ève enfante de nouveau. Plutôt, comme dit Chouraqui, “elle ajoute à enfanter” WTXF LLDT VaTossef Lalèdète. La racine XF Sef est celle du verbe HWXYF, Hossif, “ajouter”, qu’on retrouvera dans le nom de Joseph (Voir A8 : Joseph sera son nom). Ève enfante alors Abel (HBL, Havel). Le nom de Abel est facile à comprendre : HBL, Havel, c’est la buée, visible mais impalpable et vain. Le célèbre “Vanité des Vanités”, qui ouvre l’Ecclésiaste, Vanitas Vanitatum est HBL HBLYM Havel Havelim, Buée des Buées… Abel est pâtre, il fait un sacrifice, il est assassiné, et ne laisse d’autre trace de son passage sur terre, que les gouttes de son sang répandu” (Voir A9 : Les sangs d’Abel). La confrontation de Cain et Abel est celle du jaloux, qui s’est cru fils unique, seul sur terre, et de son frère évanescent, l’importun, l’intrus, le rival.

Adam, entre le sang et la terre, Ève, avide de vie, Cain, jaloux de son unicité, Abel, buée impalpable, sans oublier Joseph, l’ajouté, comment douter que Moise a construit ces noms, chargés de sens ? Comme il a construit celui de Noé, NE, Noa’h, miroir de EN, ‘Hen, grâce, et celui de son fils SM, Chem, Nom, qui transmet son nom aux Sémites, et des Sémites aux Hébreux et à quelques autres… Comme il a construit Abraham, Isaac, Jacob… Voyons cela.

(1) « L’énigme antisémite », Seuil, 2004 (note 37, p. 119)

À suivre

Dans la Bible hébraïque, les calembours sont innombrables ; et innombrables surtout ceux qui sortent des noms propres, qui les nourrissent, qui les justifient (et qui nourrissent et justifient, hors Histoire, toutes sortes de narration). Isaac s’appelle ainsi parce que sa naissance ” fait rire (sourire)” ses parents et qu’elle “fera rire (sourire de joie ?)” le peuple (cf. Genèse 18, 12-13 et 15 et Genèse 21, 6) : racine commune à “rire” et à “Isaac” : ZEQ. Et Adam est tiré du limon, parce que “terre”/ADMH et “Adam, l’homme”/ADM sont, en hébreu, des termes assonants. Et Ève est appelée ainsi (EWH/”vie”, grec Zoé) parce qu’elle est “mère de toute vie/EY” (même racine, EYH - Genèse 3, 20). Et la tribu de Dan porte ce nom parce qu’elle juge (”Dan” = DN, et “juger” = DYN, Genèse XLIX, 16). Et, au chapitre 25 de 1Samuel, Nabal, époux d’Abigaïl, se conduit comme un idiot, “Nabal”/NBL étant l’une des formes vocaliques de la racine NBL/”être fou”. - Mais cela suffit, si abondants sont les exemples.

Dubourg t. 2, p. 159

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La Bible hébraïque présentée, traduite (8 versions) et commentée sur JUDÉOPÉDIA

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