9. On rira

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Joies de la paternité, joies de la maternité

La signification du nom d’Isaac est sans ambiguïté. En Genèse 17, 17, après avoir appris que lui et Sarah allaient avoir un fils, “Abraham tombe sur sa face et rit (WYZEQ, VaYits’haq” . (Voir A13 : Le propre de l’homme). La raison officielle de ce rire est la surprise : il a 100 ans et Sarah 90. Or deux versets plus loin tombe le nom du fils à naître : Sarah, ta femme, t’enfantera un fils; et tu crieras son nom Yits’haq, YZEQ, Isaac, “On rira”. Du cas particulier, on passe d’un coup à l’universel : la constatation qu’une femme est enceinte est une heureuse nouvelle, en général confirmée, après la naissance, par la formule « Abraham et Sarah “ont la joie” d’annoncer la naissance d’Isaac ».

L’âge avancé d’Abraham et Sarah fait prétexte. Tout futur père se réjouit sobrement de la future naissance, mais trouve plutôt à s’inquiéter des responsabilités qu’il aura à assumer. Toute femme, à sa première grossesse, s’effare devant la vie qui va l’envahir et, la faisant vieille avant l’âge, qui va interrompre ses règles, transformer son corps, la priver du plaisir charnel, ŒDNH, Edenah, Eden au féminin (Genèse 18, 13) ! Le verset 15 rend compte de l’affolement fait d’euphorie, de déni et de terreur, qui s’emparent de la femme en passe de se savoir enceinte : “Sarah mentit, disant “Je n’ai pas ri” car elle eut peur. Mais Il dit : “Si, tu as ri”“. Pourquoi les commentateurs glissent-ils en général sur ces versets ?

Isaac, au contraire de ses parents, ne change jamais de nom. C’est le rire, cette fois, qui prend toutes sortes de significations, que scandent diverses formes du verbe onomatopée ZEQ, Ts’haq, “rire”. Il faut d’abord que les chapitres 19 et 20 s’intercalent, ce n’est qu’au chapitre 21 qu’Isaac vient enfin au jour, comme s’il fallait éloigner le plus possible la conception miraculeuse d’Isaac de sa naissance. Il se passe en effet beaucoup de choses entre la conception et la naissance. Au moment de celle-ci, les parents se souviennent-ils précisément des circonstances de l’union qui a été féconde ? et des incertitudes qui ont précédé la déclaration publique de grossesse ?

Le premier verset de Genèse 21 offre un autre verbe : “paqad“, FQD (rappelons que la lettre , transcrite dans ce livre par F, se prononce suivant le cas P ou F). Les Bibles chrétiennes le traduisent souvent par la métaphore médicale de « visiter » : « Et l’Eternel visita (paqad) Sarah comme il avait dit ». Les Bibles juives hésitent : pour Chouraqui, YHWH “sanctionne” Sarah ; pour Samuel Cahen, YHWH “pensa à” Sarah ; pour le Rabbinat, l’Éternel “s’était souvenu” de Sarah. Nous consacrerons plus loin tout le chapitre 20, “Passage en revue”, à ce “paqad“. Revenons au rire.

isaac est circoncis au huitième jour ; il est nommé du nom prévu avant sa conception. Et ce nom renvoie à nouveau au rire. Versets 5 et 6 : “Abraham était âgé de cent ans, à la naissance d’Isaac (YZEQ, Yits’haq) son fils. Et Sara dit: Dieu m’a fait sujet de rire (ZEQ, Ts’haq); quiconque l’apprendra rira de moi (YZEQ-LY, Yits’haq-Li).” Ce n’est plus ici la femme enceinte qui est sujet de raillerie, c’est la nouvelle accouchée, dont l’enfant pourrait ne pas être celui de son mari.

Ismaël se moque aussi trois versets plus loin : “Sarah voit le fils qu’Agar, l’Egyptienne, avait enfanté à Abraham qui rit (MZEQMetsa’heq). Les moqueurs ont bien des raisons de mettre en doute les filiations officielles. Si une femme annonce à son mari qu’elle est enceinte, tout le monde se réjouit ; mais si une fille annonce à son père qu’elle est enceinte, une question surgit : « De qui ? ». Dans le premier cas, on rit. Dans le second, on rigole.

Le doute finit par assaillir Abraham lui-même. Après tout, il ne se souvient pas avoir jamais « connu » Sarah. Un désaveu de paternité l’arrangerait. Chaque nouveau père se dit “quelque part” que le moment de plaisir instantané qu’il a eu ne justifie pas de telles complications, définitives. C’était “pour rire” ! Quand Elohim lui demande de lui sacrifier Isaac, il accepte, ne se doutant pas que ce faisant, il reconnaît la divinité dont il tient l’enfant. Comme celui-ci, en montant au sacrifice, au verset 22, 7, l’appelle ABY, Abi, « mon père », et que lui répond BNY, Beni, « mon fils », père et fils se sont aussi reconnus mutuellement. Plus précisément, quand il lève son couteau, Abraham se souvient que ce même couteau a circoncis Isaac ; il le reconnaît non seulement comme son fils, mais aussi comme le fils de Sarah, son épouse légitime, donc comme son fils légitime, selon la loi (1). C’est à ce moment que l’ange de YHWH, sa conscience, lui crie alors de « ne pas étendre sa main ».

C’était Elohim qui “éprouvait” Abraham en lui demandant de sacrifier Isaac. Mais c’est YHWH, qui, au verset 18, félicite Abraham, qui a réussi l’épreuve. Cette fois c’est Dieu qui a changé de nom ! « Parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique, je te bénirai, je multiplierai ta semence comme les étoiles du ciel, comme le sable sur les lèvres de la mer. Toutes les nations de la terre (KL GWYY HARZ, Kol Goyé Haarets) se bénissent en ta semence parce que tu as entendu ma voix ».

En quoi la première intention d’Abraham, celle de sacrifier son fils, est-elle source de bénédiction ? Parce que nous parlons d’une alliance, et qu’une alliance a deux partenaires. A qui un père déclare-t-il un fils, quand il va le reconnaître au bureau de l’état civil ? À un fonctionnaire ? Ou bien à une nation, à un pays, à un État ? Un État assure protection à ses citoyens mais leur demande en retour, non seulement de respecter les lois et de payer leurs impôts, mais aussi d’être prêts, dans des cas aussi rares que possible, à prendre le risque de « mourir pour la patrie ». C’est un sacrifice virtuel.

L’Alliance d’Abraham engendre les nations, et non pas les religions. Abraham sacrifiant Isaac, ou plus précisément « ligotant » Isaac (les rabbins ne parlent pas du “sacrifice d’Abraham”, mais de la “ligature d’Isaac”), c’est un père déclarant la naissance de son fils à l’état civil. Ce fils est coincé, il est ligoté ! L’État a changé, il compte un habitant de plus, le père et la mère ont changé de statut.

La paternité se fonde dans le secret de la conscience. L’ascendance généalogique est une convention sociale et n’emporte jamais aucune certitude biologique. L’important pour être père n’est pas tant de « faire » un enfant que de le reconnaître, devant témoins ou par un acte certifié devant l’autorité légitime, elle-même ainsi reconnue.

(1) Ce rapprochement est de Marie Balmary, à laquelle cet ouvrage doit beaucoup. Voir notamment “Le sacrifice interdit, Freud et la Bible” (Grasset, 1993)

À suivre

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