23. Du midrash au Magnificat

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Comment Madame votre mère s’est-elle aperçue qu’elle était enceinte ? À qui l’a-t-elle annoncé ? Et comment fut choisi votre prénom ?

Citations, allusions

Le premier chapitre de Luc est centré sur l’Annonce faite à Marie : “ L’ange lui dit : (…) Et voici, tu deviendras enceinte, et tu enfanteras un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus“ (Luc 1, 31). Cette Annonce à Marie est elle-même encastrée dans un autre récit, consacré, lui, à l’Annonce faite à Zacharie, mari d’Elisabeth, puis à la naissance de leur fils Jean. Luc 1, 7 énonce : “Ils n’ont point d’enfants, parce qu’Élisabeth était stérile ; et ils étaient l’un et l’autre avancés en âge“, ce qui rappelle évidemment Genèse 18, 11 : “Abraham et Sarah étaient vieux, avancés en âge : et Sarah ne pouvait plus espérer avoir des enfants“. De même “Alors un ange du Seigneur apparut à Zacharie (…) Zacharie fut troublé en le voyant, et la frayeur s’empara de lui” rappelle Genèse 18, 15 : “Sarah mentit, en disant : Je n’ai pas ri. Car elle eut peur“. Ces citations quelque peu transformées, ces allusions transparentes, sont caractéristiques du midrash.

Continuons. Luc 1, 13 : “Mais l’ange lui dit : Ne crains point, Zacharie ; car ta prière a été exaucée. Ta femme Élisabeth t’enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jean“. il y a là une répétition de Genèse 17, 19 : Dieu dit: Certainement Sarah, ta femme, t’enfantera un fils; et tu l’appelleras du nom d’Isaac. De plus, verset 14 : “Il sera pour toi un sujet de joie et d’allégresse, et plusieurs se réjouiront de sa naissance“, la joie et l’allégresse font clairement allusion au nom d’Isaac, Yits’haq, YZEQ, “On rira”.

On se souvient qu’en Genèse 21, 1 « YHWH visite (paqad) Sarah ” au moment de la rendre enceinte (cf ch. 20 “Passage en revue”). On se souvient aussi de deux sens du verbe paqad, “visiter” au sens médical du terme, et “recenser”. Au début du chapitre 2 de Luc, si Marie va accoucher à Bethléem, c’est qu’il y a un recensement, celui de Quirinius. Mais au milieu du chapitre 1er, Marie rend visite (c’est la “Visitation”) à sa parente Elisabeth, “Dès qu’Élisabeth entendit la salutation de Marie, son enfant tressaillit dans son sein, et elle fut remplie du Saint-Esprit“. La grossesse est d’abord une affaire de femmes, qui ne peuvent échanger leurs expériences qu’entre elles. L’Éternel Qui visite Sarah est aussi l’Éternelle, bénie soit-Elle.

Une différence notable entre les annonces à Marie et à Sarah est d’ailleurs l’emploi du terme “enceinte” (”L’ange lui dit : (…) Et voici, tu deviendras enceinte“). Jamais Sarah n’est qualifiée d’enceinte. Dans la Genèse, c’est Hagar qui tombe enceinte, avec insistance : Genèse 16, 4, puis 11 : “Abraham alla vers Agar, et elle devint enceinte. Quand elle se vit enceinte, elle regarda sa maîtresse avec mépris (…) L’ange du Seigneur lui dit : Voici, tu es enceinte, et tu enfanteras un fils, à qui tu donneras le nom d’Ismaël ; car le Seigneur t’a entendue dans ton affliction“. Au passage, notons que si l’allégresse fait allusion à Isaac, “ta prière est exaucée” fait allusion à “l’Eternel t’a entendue“, donc au nom d’Ismaël. L’appellation de l’”ange du Seigneur” (en hébreu MLAK YHWH, Maleakh Adonaï, “Messager de YHWH”) est également commune aux annonces à Hagar et à Elisabeth. Cet ange se nomme Gabriel, aux versets 19 pour Zacharie et 26 pour Marie ; c’est, nous l’avons vu plus haut, (ch. 11 “Une maîtresse femme”), une allusion à la vigueur sexuelle et à GBRT, Gueveret, “maîtresse” : Sarah est la “maîtresse” de Hagar.

Pleine de grâce

Luc 1 évoque donc les naissances d’Isaac et d’Ismaël. Mais aussi celle de Samuel. Comme le premier chapitre de 1Samuel, celui de Luc commence dans le style “Il était une fois” : “Du temps d’Hérode, roi de Judée, il y avait un sacrificateur, nommé Zacharie, de la classe d’Abia ; sa femme était d’entre les filles d’Aaron, et s’appelait Élisabeth” (Luc 1, 5) renvoie à “Il y avait un homme de Ramathaïm-Tsophim, de la montagne d’Éphraïm, nommé Elkana (…) Il avait deux femmes, dont l’une s’appelait Anne, et l’autre Peninna (1Samuel, 1, 1). Les deux récits évoquent chacun des lignées de Cohanim. Zacharie est un “sacrificateur”, c’est-à-dire un Cohen, un descendant d’Aaron, qui a épousé une “fille d’Aaron”, elle-même nommée Elisabeth, comme la femme d’Aaron lui-même, et qui “observe d’une manière irréprochable tous les commandements et toutes les ordonnances du Seigneur” (Luc 1, 6), ce qui n’était pas le cas des “deux fils d’Éli, Hophni et Phinées, sacrificateurs de l’Éternel. (1 Samuel 1,3).

Autre façon d’évoquer ‘Hannah, ENH, insister sur la “grâce”, sous la forme bien connue de l’Ave Maria. “L’ange entra chez elle, et dit : Je te salue, toi à qui une grâce a été faite ; le Seigneur est avec toi. Troublée par cette parole, Marie se demandait ce que pouvait signifier une telle salutation. L’ange lui dit : Ne crains point, Marie ; car tu as trouvé grâce devant Dieu” (v. 28-30). Cette grâce, ‘Hen en hébreu, conduira le “Protévangile de Jacques” à nommer “Anne” la mère de Marie, tradition que Léonard de Vinci a définitivement consacré dans un célèbre tableau dans lequel cette supposée grand-mère a l’apparence d’une mère également touchée par la grâce.

Avant l’Ave Maria, une autre mention de la grâce permet de faire coup double : au verset 25, quand Elisabeth comprend qu’elle est enceinte, elle associe la grâce à la formule de Rachel à la naissance de Joseph (cf “15. Le nom de famille”) : C’est la grâce que le Seigneur m’a faite, quand il a jeté les yeux sur moi pour ôter mon opprobre parmi les hommes. Précisément un autre Joseph, le fiancé de Marie, est nommé deux versets plus loin, au verset 27 ; or Joseph, fils de Rachel, est connu pour avoir repoussé les avances de la femme de Putiphar, qu’il n’a donc pas “connue” (Genèse 39, 7-15). Ici, c’est au verset 34 que Marie dit “n’avoir pas connu” d’homme. Et en Exode 1, 8 s’élève sur l’Egypte “un nouveau roi qui n’avait pas connu”… Joseph. Dans ce dernier cas, ce n’est ni Isaac, ni Ismaël, ni Samuel, ni Joseph dont Luc évoque la naissance, c’est Moïse, recueilli dans son berceau par la Fille de Pharaon, sous les yeux de sa sœur aînée Myriam, MRAM, nom que la Bible Darby, par exemple, traduit par … Marie. A vrai dire, comme vu plus haut (15. Le nom de famille), c’est surtout l’Évangile de Matthieu qui relie la naissance de Jésus à celle de Moïse, avec la fuite en Egypte de la Sainte Famille, et la transformation de la noyade des petits garçons hébreux en Massacre des Innocents.

Deux hymnes

Le principal lien entre ‘Hannah et Marie est constitué par le Magnificat de l’Évangile de Luc (1, 46-55), mis en musique en particulier par Jean-Sébastien Bach, dix versets qui se comparent au cantique de ‘Hannah, de dix versets également (Voir A 44 : Du cantique de Hannah au “Magnificat”). Le thême commun aux deux hymnes est la toute-puissance de Dieu. Contrairement à toutes les idées reçues, c’est le cantique de ‘Hannah, dans l’Ancien Testament, qui invoque Yeshu’a et Mashia’h, Jésus et Messie ; et c’est celui de Marie, dans le Nouveau Testament, qui invoque Israël et Abraham (54-55) : “Il a secouru Israël, son serviteur, et il s’est souvenu de sa miséricorde, comme il l’avait dit à nos pères, envers Abraham et sa postérité pour toujours“.

En Luc 2, 36 apparaîtra “la prophétesse Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Asher” (1). Phanuel ? Encore une allusion à FNY, Peney, les “faces” de YHWH. Quant à Asher, c’est le huitième fils de Jacob, fils de Zilpa, la servante de Léa (voir “14. Il y a une récompense”), dont le nom Asher, Heureux, est justifié en Genèse 30, 13 : “Et Léa dit: “Il est né pour mon bonheur! Oui, les filles m’ont nommée bienheureuse.” Et elle l’appela Asher“. Or voici qu’en Luc 1, 48, au début du Magnificat, Marie s’écrie “Désormais tous les âges me diront bienheureuse”.

Tout indique donc que l’Évangile de Luc, au moins ses deux premiers chapitres, s’enracine dans les approfondissements, commentaires et Midrashim de l’Ancien Testament. Et encore avons-nous évité dans cette démonstration de commenter les noms du mari et du fils d’Elisabeth, à savoir Zacharie et Jean. Ce sera l’objet du chapitre suivant.

(1) Marie Vidal consacre tout le chapitre 9, p. 85 à 95, de “Jésus & Virounèka” (Romillat, 2000) à “La femme de la tribu d’Asher”.

À suivre

5 ré:ponse à “23. Du midrash au Magnificat”

  1. Michel Louis Levy a écrit :

    Voila ce qu’écrit Michel Remaud :

    Dans le judaïsme, il est d’usage de donner son nom à l’enfant mâle le jour de sa circoncision. À quand remonte cette tradition ? J’ai interrogé à ce sujet un rabbin et un talmudiste. L’un et l’autre m’ont confirmé que c’était la tradition, mais que cette coutume ne faisait l’objet d’aucune halakha et qu’il n’en était pas question dans la Mishna. Or, cet usage est attesté deux fois de suite dans l’évangile de Luc, à propos de Jean-Baptiste et de Jésus : « Le huitième jour, ils vinrent pour la circoncision de l’enfant et ils voulaient l’appeler Zacharie comme son père. » (Lc 1,59). « Huit jours plus tard, quand vint le moment de circoncire l’enfant, on l’appela du nom de Jésus. » (Lc 2,21). Voilà donc un usage immémorial du judaïsme dont la première attestation se trouve dans le Nouveau Testament.

    Là où le père Remaud voit un récit témoignant d’un “usage immémorial”, je vois une “élaboration midrashique” à partir d’épisodes de la Genèse, en l’espèce les naissances d’Isaac et d’Ismaël.

  2. Toutunchacun a écrit :

    L’article du père Remaud est bien intéressant. Un passage, à propos des deux boucs de Kippour, suscite une interrogation. D’après Remaud, ” Dans la Mishna, on précise que les deux boucs doivent être semblables en taille, avoir coûté le même prix et avoir été achetés le même jour ” : comment cela s’applique-t-il à Jean le Baptiste et au Christ ?
    Je note ” Or, lorsqu’on célébra l’anniversaire de la naissance d’Hérode, la fille d’Hérodias dansa au milieu des convives” et “Or l’évangile de Matthieu situe l’anniversaire de naissance du roi Hérode quelques jours avant la Pâque juive”
    Voilà pour la date (”achetés le même jour” ; qui aurait pu se comprendre aussi par la quasi simultanéité des naissances). Pour le prix, les trente deniers/sicles/pièces que Judas perçut - et rendit - trouvent-ils un équivalent pour Jean ?

  3. Michel Louis Levy a écrit :

    Le “jumeau” de Jésus, dans les Évangiles, c’est Barrabas, et c’est à la foule de choisir lequel sera sacrifié. Le midrash sur l’anniversaire d’Hérode a pour origine Genèse 40,20 anniversaire de Pharaon, où celui-ci élève la tête de l’échanson et du panetier, pour promouvoir l’un et pendre l’autre. Quant aux trente deniers de Judas, ils ont pour origine la vente de Joseph par ses frères, sur l’initiative de Juda : la valeur du nom de Juda, YHWDH, est 10 + 5 + 6 + 4 + 5 = 30.

  4. Toutunchacun a écrit :

    Oui Barrabas bien sûr. D’autant que Dubourd en fit une pierre de touche. Et pourtant, il m’apparait si évident que Jean et jésus forment une paire sacrificielle semblable aux deux boucs de Kippour !

  5. Michel Louis Lévy » Blog Archive » Joseph et Joseph a écrit :

    [...] Voir aussi : Du Midrash au Magnificat [...]

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